journal du Barreau de Marseille
numéro 2 - 2015
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par le couperet, nous avions tous des gueules d’assassins ».
Au petit matin, quand le ciel est perforé d’étoiles, les bois de justice
sont installés dans la cour des Baumettes. À ce moment précis, si la
femme que j’étais a regardé le ciel perforé d’étoiles, l’avocat n’a
aperçu que les bois de justice. « On ne peut plus avoir écouté Socrate,
et dormir sur l’oreiller des vieilles certitudes ».
En 1968, je suis désignée dans l’affaire Guérini, cour d’assises de
Paris. Je n’ai pas eu de maître de stage, mais j’ai eu pour guide affectif,
le bâtonnier Raymond Filippi. L’affaire Guérini m’a révélé, s’il en était
encore besoin, à la fois la simplicité et la complexité d’un dossier
d’Assises : le rigorisme du Droit, la lucidité du silex pour le déchiffrer,
les zones d’ombre, le diable boiteux qui ouvre le toit des maisons,
l’éclat de rire et les sanglots. Dans ce dossier, deux ténors, deux
monstres sacrés du barreau, deux témoins ont mené le combat du
doute « coupable ou non coupable »: Monsieur le bâtonnier Raymond
Filippi, Maître Pollak, par leur force de la maïeutique rationnelle, la
passion et la démonstration affective. Je n’ai jamais oublié.
En 1979, je me retrouve devant la cour de sûreté de l’État. Tribunal
d’exception détenteur du Pouvoir : Procès des Corses. L’huissier
annonce « La cour de sûreté de l’État, présentez Armes ». L’État
ment quand il dit « je suis le peuple ». C’est le plus froid des monstres
froids (citation).
Je vais ajouter un dossier, toutes dates confondues, pour lequel nous
plaidons régulièrement. Les déshérités, ceux qui chantent et ceux
qui pleurent… Ceux qui ne possèdent rien. Il y a des chiens perdus
sans collier. « Il y aura toujours par le monde, quelque chien perdu
qui m’empêchera d’être heureux ». Jean Anouilh.
Nosdeux consoeurs ont parléde lapremière
et de ladeuxième robe
Donc réponse à la question sur la troisième robe, qui n’engage que
moi. Il n’y pas de troisième robe. Il n’y a qu’une seule et unique
robe en continuité. Un avocat ne s’embourgeoise pas, et ne s’em-
bourgeoise jamais. La robe est cadeau, toute en cadeau !!! Parce
qu’elle nous apprend tout en direct, de l’aventure humaine, et de la
route chaotique de la vie, en amont et en aval, qui va du bonheur
jusqu’à la souffrance et la désespérance la plus totale.
Nous n’avons pas la même conception philosophique de notre robe
d’avocat, parce que nous sommes à la fois les mêmes et différents,
et que nos racines et nos chemins sont également les mêmes et
différents. L’avocat est un voyageur ; mieux, c’est un nomade. Sa
robe est porteuse de secrets ; les siens, ceux des autres, et par une
alchimie secrète, elle en dénoue les nœuds. L’avocat est un magicien,
il jongle avec les contradictions apparentes entre le mystère de l’être
humain et la rigidité de la raison, et d’un coup de baguette magique,
tout devient limpide.
êtreavocat c’est sebattre
Se dépasser, pour faire éclater la vérité et prendre le risque de la
tempête. L’avocat, c’est Antigone. En se battant pour les autres, on
se bat pour soi-même. Chaque époque a son combat. Peu importe
la taille, le timbre de voix, c’est un combat commun, Hommes et
Femmes, bras dessus, bras dessous, chacun avec sa personnalité. La
détermination qui m’a chevillé au corps, n’a pas pris une ride. Peu
importe également, si ma robe a perdu un bouton et qu’il a été
recousu maladroitement ; si elle a été reprisée ; elle n’a pas pris une
ride non plus. Elle sait tout de moi : mes joies, mes doutes, mes
révoltes, mes combats perdus, mes peines qui permettent de me
reconstruire.
L’important c’est la solidarité entre nous, et la transmission du
message
Mais la transmission, si elle est gravée dans le marbre, figée dans
l’écriture, elle meurt. Si elle est la source, elle vit et notre robe n’est
pas un prêt-à-porter. Elle est vivante, elle a une symbolique. Le
machisme c’est le passé, les hommes ne considèrent plus que nous
prenons leurs places, les avocates timorées, c’est le passé (en plus
elles sont jeunes et belles), la femme a apporté la preuve de sa per-
tinence. Pour le surplus, la route s’annonce longue et difficile.
Moi aussi, avec votreautorisation, une légende
Il a été dit, écrit, conté, qu’importe ! C’est une légende, que la tunique
du Christ aurait été « inconsutilis », c’est à dire sans couture et d’un
seul tissu, et que les soldats romains, pourtant si peu préoccupés
des choses taboues, auraient jugé préférable, et surtout plus prudent,
de ne pas la déchirer pour la partager, mais de la tirer au sort.
Vrai ou faux, qu’importe ! L’important est d’en retenir que notre
robe est « inconsutilis ».
journéE dE LA FEMME
L’HABIT fAIT LA fEMME
vendredi 6 mars 2015
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