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journal du Barreau de Marseille

numéro 2 - 2015

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Tandis que Nathalie voyage au bout de l’enfer.

Mais julia explique, parce qu’il faut expliquer Charlie,

et elle poursuit.

« Je suis Charlie, oui, mais pas que. Je suis musulman, je suis

chrétien, je suis juif, je suis athée. Je suis journaliste, je suis policier.

Est Charlie celui qui se bat pour la liberté. . .

Je suis Charlie c’est la France qui refuse de marchander sur ce qui

la compose et qui déclare fièrement qu’en matière de liberté, il n’y

a rien à négocier. Je suis Charlie, c’est la fraternité qui tend la main

à la liberté d’expression pour faire barrage aux cons. C’est le rire

qui s’oppose à la nuit. Je suis Charlie. Nous sommes unis.

En bas de la Canebière, une jeune femme passe à côté de moi. Elle

marche à contre sens de la manifestation, semble pressée. Elle ne

peut ignorer la foule, la regarde et l’air dubitatif demande à sa

copine : « c’est qui Charlie » ? Durant quelques secondes je crois

à une blague. Mes oreilles n’en reviennent pas. Puis soudain tout

s’éclaire. L’inculture qui me sidère donne naissance sous mes yeux

à la seule vraie question à poser. La seule qui mérite qu’on s’y

attarde. Le constat m’apparaît évident. Il faut expliquer Charlie. Ne

pas uniquement s’en revendiquer de manière frénétique et irré-

fléchie, comme on le ferait d’une nationalité, d’une religion ou

d’un État. On ne peut être Charlie si on ne le comprend pas. Il nous

faut donc l’expliquer à ceux qui ne le connaissent pas, peu ou mal

et puis surtout à ceux qui ne l’aiment pas. Les attentats du mois de

janvier sont une nouvelle occasion d’enseigner. . . »

Et Sarah se bat et ne renonce pas.

« Je ne veux pas rougir quand je me draperai à nouveau de ma

robe. Effacé le serment d’allégeance, plus rien ne fait désormais

obstacle à mon indépendance. Alors oui, je fais une UNE qui

dérange, souligne l’aberration de vos incohérences et dessine de

mon pinceau les contours d’une vérité qu’on ne veut ni voir ni

entendre. Je vais chercher des couleurs au tréfonds de mon âme

pour repeindre ce croquis que je trouve misérable. Et tant mieux

si je bave et déborde de la toile. Parce que la parole de l’Avocat

est libre et que nous avons le droit de tout dire.

Finalement, nous sommes un peu des artistes, chacun dans notre

style !: un Cabu par-ci, un Charb par-là, un Tignous, un Wolinsky...

Et à l’instar de ces derniers, on continue malgré les coups qui

nous sont assénés.

BANG. BANG.

Le tableau vient de tomber et s’encastre sur nos têtes. Le verdict

a sonné. Il a pris douze ans pour un dossier vide au nom du

peuple français. . .

Alors, je reste là, muette. Un confrère me sourit, pose une main

rassurante sur mon épaule et me dit : Tête haute et n’oublie pas,

c’est nous Charlie . . . »

«. . . J’en ai plein des idées moi, il m’a suffi de quelques visites

protocolaires chez nos congénères étrangers pour satisfaire à

mes idées. Vous savez, face à un mur, il faut savoir reconnaître

ses faiblesses et pallier ses carences en s’inspirant de guides étran-

gers. Il faut s’ouvrir l’esprit voyons.

Je me suis donc naturellement rendue en Turquie. Les pauvres

semblent avoir quelques difficultés avec leur accès internet réduit,

sûrement un problème de débit, mais assez efficace comme

parade contre les idées décadentes et provocatrices véhiculées

sur Youtube, Twitter et autre Facebook….

Fort de ces constats, à mon retour au pays, après un rapide stop

au Yémen pour saluer les amis, ce n’est que trop peu étonnée

que j’ai pu constater, ma foi, que rien n’avait changé.

Charlie hebdo malgré ses cinquante attaques est toujours debout,

retord et impertinent, son humour grinçant et irrévérencieux

frappe encore, et La France, cautionne ces déviances. « Que l’autorité

se borne à être juste, nous nous chargeons de notre bonheur »

disait Benjamin Constant. Mais si l’autorité se borne à être laxiste,

je vais devoir me charger d’être juste, pour mon bonheur. Ces gro-

tesques pantins ne me font pas rire. Leur acide ironie me ronge.

Leurs humiliations exacerbées anéantissent mon ordre religieux.

Malheureux dissident, Isabelle la Catholique n’a qu’à bien se tenir,

je serai à mon peuple ce qu’elle fut aux chrétiens. Puisque le

système est lâche, puisque l’expression est toujours libre en France,

et puisque je n’ai pas d’humour, je vais agir. . .»

Alors julia lui tend la main pour la faire revenir.

« …Dans le sang naît parfois un sentiment étrange. Celui d’une

grande tristesse qui se mêle de manière inattendue à un espoir

fou. Je suis Charlie c’est l’arc-en-ciel après la pluie. Tous les

possibles au bout des doigts quand les Français se tiennent la

main. De la même façon que le noir n’existe que par le blanc,

l’espérance est née ici au milieu du néant. Face à la brutalité, la

France s’est mise à entamer l’air d’un ancien refrain qu’on avait

un peu oublié, celui de la fraternité… »

Et Nathalie revient en tapant du poing.

« . . . Non, Mesdames, Messieurs, Confrères, ça n’en finira jamais

de cette liberté. Si l’on doit mener un combat pour elle, nous

lèverons des armées. Qu’il s’inquiète de Charlie, oui qu’il s’inquiète

de sa multitude et de son unité. Si la liberté d’expression disparaît,

c’est la liberté de pensée qui sera bientôt attaquée, et il n’en

restera plus rien, alors, des valeurs de notre République. . . »