Journal du Barreau de Marseille
numéro 4 - 2016
13
En quoi le droit de l'environne-
ment reste-t-il un sujet majeur
alors que le terrorisme fait la
une des journaux ?
Je ne suis pas sûre qu'on parle
de choses si différentes.
D'abord, la Déclaration des
droits de l'humanité n'est pas
une déclaration qui ne s'inté-
resse qu'à l'environnement. Elle
s'intéresse par exemple au pro-
grès technologique, à l'accès
aux ressources, à la santé envi-
ronnementale. Elle s'intéresse à
beaucoup d'autres choses que
l'environnement stricto sensu.
C'est le premier point.
Deuxièmement, parce que, en
réalité, les sujets sont au-
jourd'hui totalement intercon-
nectés. Vous me parlez de
terrorisme et vous avez raison.
C'est un sujet qui mobilise, à
juste titre, nos opinions pu-
bliques parce que nous avons
perdu 237 de nos concitoyens depuis le début de l'année du
fait du terrorisme et que dans le monde c'est quasiment une fois
par semaine que ça saute quelque part. Sauf que, quand vous
regardez les choses d'un peu plus près, vous vous rendez
compte qu'une des causes du terrorisme, mais pas la seule, se
trouve dans la dégradation de la situation environnementale
des gens. Tout simplement parce qu'ils ne peuvent plus vivre là
où ils étaient. Je vous donne un exemple, le lac Tchad. Le lac
Tchad faisait 25 000 km2. Au-
jourd'hui est-ce que vous savez
combien il fait de km2 ? 1 800
km2. C'est-à-dire que tous les
gens qui vivaient, que ce soit
de la pêche en bas ou de la
culture en haut, parce qu'il y a
des collines autour, n'ont plus
de quoi vivre. Quand vous
ajoutez à cela qu'ils n'ont pas
la même religion et que les uns
accusent les autres de rendre
leur vie impossible, vous avez une partie de l'explication des
problèmes du monde actuel. Une partie des problèmes que
nous avons sont liés à des problèmes de sécheresse, des pro-
blèmes d'impossibilité de s'alimenter, des orientations agricoles
absolument délirantes qui font que l'agriculture ouvrière est en
train de disparaitre totalement de toute une série de pays du
monde. Ça, c'est une réalité, j'allais dire ça n'a rien à voir avec
l'environnement, si ça a à voir avec l'environnement. Je crois
qu'il faut arrêter de voir les problèmes les uns après les autres.
Si on fait ça on est foutus, on ne résoudra jamais rien du tout. Il
faut au contraire essayer d'avoir une approche transversale pour
essayer de comprendre comment les sujets sont imbriqués les
uns dans les autres et comment on peut essayer progressive-
ment, en s'occupant de l'un, de s'occuper aussi des autres.
Quand j'ai commencé ma carrière, il y a très longtemps, le droit
de l'environnement était un droit territorial. C'étaient des pol-
lutions, des nuisances d'une entreprise, c'était la nature qui
était mal protégée, telle ou telle rivière, ou telle ou telle forêt,
ou tel ou tel sol. Aujourd'hui
vous avez des phénomènes
qui sont totalement globaux.
La question du climat est glo-
bale. La question de la dispa-
rition de la biodiversité est
globale. La question de la
pollution chimique est glo-
bale. Donc, on ne parle plus
du tout de la même chose. En
fait, on parle des conditions
de vie des gens, des condi-
tions de la vie économique, des conditions de la vie sociale,
des conditions de la vie tout court. Et c'est à ça que s'intéresse
la déclaration universelle. Elle ne s'intéresse pas uniquement à
l'environnement stricto sensu, parce qu'effectivement ça pour-
rait paraître accessoire. Sauf que quand on voit ce qui est en
train de se préparer sur le plan climatique, je vous assure que
ça ne va pas paraître accessoire aux gens très longtemps.
PROPOS RECUEILLIS
PAR JULIEN AYOUN
VOTRE BARREAU
Corinne Lepage entourée de Fabrice Giletta, bâtonnier, Geneviève Maillet, bâtonnier élu
Il faut au contraire essayer d'avoir
une approche transversale pour
essayer de comprendre comment
les sujets sont imbriqués
les uns dans les autres (...).