Journal du Barreau de Marseille
numéro 3 - 2016
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L’état d’urgence
L’inscription dans la Constitution de l’état d’urgence – ac-
tuellement prévu par une loi du 3 avril 1955 - aurait pu
contribuer à mieux encadrer ce régime, tant les condi-
tions de son déclenchement sont imprécises et les me-
sures autorisées intrusives. Rappelons que la loi du 3 avril
1955 prévoit son déclenchement « soit en cas de péril im-
minent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en
cas d’évènements présentant, par leur nature et leur gra-
vité, le caractère de calamité publique » alors que les me-
sures de police administrative susceptibles d’être prises
incluent, entre autres, des assignations à résidence, la fer-
meture provisoire des salles de spectacle, débits de bois-
sons et lieux de réunion, l’interdiction des réunions, des
perquisitions de jour et de nuit.
L’encadrement, avancé par le gouvernement, n’aurait eu
cependant aucune chance de prospérer, tant le projet de
loi constitutionnel manquait à cet objectif. Outre qu’il ré-
pétait exactement les cas d’ouverture, déjà prévus par la
loi, il autorisait, dans les faits, une prorogation infinie – et
inédite !- de l’état d’urgence. Alors que la loi du 3 avril
1955 prévoit la prorogation de l’état d’urgence au-delà de
douze jours par la loi qui doit en fixer « la durée définitive
» (art. 3), le projet de loi constitutionnelle prévoyait sim-
plement que la loi de prorogation « en fixe la durée ». Si
une limite temporelle de quatre mois a pu être fixée à la
première prorogation, au cours de l’avancement du débat
constitutionnel, aucune n’en était fixée pour les proroga-
tions ultérieures qui pouvaient être illimitées. Combinée
au fait qu’une majorité parlementaire simple suffise pour
proroger l’état d’urgence, l’absence d’encadrement tem-
porel maintenait le risque d’un état d’urgence infini.
Pourtant un tel encadrement aurait permis un réel
contrôle juridictionnel de la durée de l’état d’urgence. En
effet, dans le système actuel, le décret déclenchant l’état
d’urgence ne peut pratiquement pas être contesté après
sa prorogation par la loi, car une telle intervention du lé-
gislateur est censée « ratifier » la décision initiale prise
par décret (CE, 24 mars 2006, n° 286834, 287218, Rolin et
Boisvert). La loi faisant « écran », il n’est pas possible, non
plus, de suspendre l’état d’urgence après sa prorogation,
car cela aboutirait à la suspension de la loi (CE, 27 janvier
2016, n° 396220, ligue des droits de l’Homme et autres ;
CE, 9 déc. 2005, n° 287777, Mme Allouache et autres).
Quant au refus de mettre fin à l’état d’urgence avant l’ex-
piration du délai de l’éventuelle prorogation, il ne saurait
facilement être suspendu au regard du très large pouvoir
d’appréciation reconnu au chef de l’État en cette matière
(CE, 27 janvier 2016, n° 396220, CE, 9 déc. 2005, n°
LACONSTITUTIONNALISATION
DE L’ÉTAT D’URGENCE,
refleXions sur lA normAlite normAtiVe pAr temps d’eXception
LA PAROLE AUX SYNDICATS
La révision constitutionnelle visant à inscrire
dans la Constitution française l’état d’urgence
et la déchéance de nationalité n’a pas eu
finalement lieu.
Le 30 mars 2016, le Président de la République a
décidé « de clore le débat constitutionnel»,
après avoir constaté que l’Assemblée Nationale et le Sénat ne sont pas parvenus à se mettre
d’accord sur un même texte, condition indispensable pour que la révision suive son cours devant le
Congrès. Le débat constitutionnel n’était pas, dans son principe, inintéressant.
Shirley Leturcq et Sophia Papapolychroniou