LA PAROLE AUX SYNDICATS
Journal du Barreau de Marseille
numéro 3 - 2016
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287777, précités). Enfin, à défaut d’un encadrement subs-
tantiel des conditions de déclenchement de l’état d’ur-
gence dans le texte constitutionnel, le juge
constitutionnel, éventuellement saisi de la loi de proroga-
tion, ne peut pas en apprécier la régularité.
L’ultime justification en faveur de la constitutionnalisation
de l’état d’urgence consisterait alors à élever le rang nor-
matif de ce régime législatif, lequel côtoie deux autres
régimes d’exception, inscrits, quant à eux, dans la Consti-
tution : les pouvoirs exceptionnels du chef de l’État, en
vertu de l’article 16 et l’état de siège, prévu par l’article 36.
Or, une constitutionnalisation, en l’état, voire a minima
des garanties prévues dans la loi du 3 avril 1955, n’était
d’aucune utilité, d’autant plus que la Constitution auto-
rise déjà le législateur à prévoir un régime d’état d’ur-
gence, voire d’autres régimes d’exception (CC, 25 janvier
1985, État d’urgence en Nouvelle-Calédonie, DC 85-187,
cons. 4 et CC, 22 décembre 2015, M. Cédric D., QPC 2015-
527, cons. 8). Sans aucunement encadrer l’état d’urgence,
le projet de sa constitutionnalisation traduisait surtout la
volonté de réaliser un rassemblement national autour de
l’idée d’une riposte vigoureuse et durable face à la me-
nace terroriste. Cette riposte s’est également matérialisée
dans le projet de constitutionnalisation de la déchéance
de la nationalité, dont l’efficacité a été très discutée.
La déchéance de nationalité
L’article 25 du Code civil permet déjà, dans sa rédaction
actuelle le prononcé d’une déchéance de nationalité en
cas de condamnation de « L’individu qui a acquis la qua-
lité de Français peut être déchu de la nationalité française,
sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride,
notamment s’il est condamné pour un acte qualifié de
crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fonda-
mentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit
constituant un acte de terrorisme (…) ou s’il s’est livré au
profit d’un État étranger à des actes incompatibles avec la
qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la
France ». « La déchéance n’est encourue que si les faits re-
prochés (…) à l’intéressé se sont produits antérieurement
à l’acquisition de la nationalité française ou dans le délai
de dix ans à compter de la date de cette acquisition ».
Sans doute, l’inconvénient majeur de cet article aux yeux
des partisans de la révision consistait en l’impossibilité de
prononcer la déchéance à l’endroit des nationaux par at-
tribution (naissance) et non acquisition. Toutefois, cette
révision impliquait deux impasses juridiques majeures: la
création d’un apatride par définition sans pays de destina-
tion et l’expulsion délicate d’un étranger qualifié de
« terroriste » en méconnaissance des dispositions inter-
nationales. A cet égard, la Haute assemblée tout en ques-
tionnant l’efficacité d’une telle réforme a éludé plusieurs
questions se rattachant à la protection internationale des
droits de l’homme et au droit européen.
Pourtant, l’État français dans la mise en œuvre du dispo-
sitif prévu par le Code civil s’est déjà vu condamner par la
CEDH pour l’expulsion d’un ressortissant algérien déchu
de la nationalité française. Dans cet arrêt, la Cour recon-
naît les « difficultés considérables que les États rencon-
trent pour protéger leur population de la violence
terroriste […] de l’ampleur du danger que représente le
terrorisme pour la collectivité et, par conséquent, de l’im-
portance des enjeux de la lutte antiterroriste». Elle a
néanmoins dans le cas d’espèce considéré l’expulsion en-
visagée contraire aux dispositions de l’article 3 (Arrêt
Daoudi c/France CEDH, 3 décembre 2009, n° 1957/08).
En réalité, au-delà de cette impasse juridique majeure, de-
meure une question politique plus profonde: L’expulsion
par la France d’une personne française constitue-t-elle la
réponse idoine à la question de la radicalisation terroriste
sur son propre sol ?
L’échec du projet de constitutionnalisation ne met pas fin
au régime d’exception en vigueur depuis le 14 novembre
2015. Prorogé à plusieurs reprises, l’état d’urgence était
censé durer jusqu’au 26 juillet 2016. Une nouvelle proro-
gation de trois mois a été cependant annoncée dans la
nuit du 14 juillet, quelques heures après l’attentat de Nice
et devrait être votée les jours suivants. Quand bien même
cet attentat serait le dernier, la levée de l’état d’urgence ne
signifierait pas la fin de l’exception et le retour à la norma-
lité. Face à une menace terroriste, que l’on dit perma-
nente, le nouvel arsenal pénal introduit récemment (V.
notamment, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant
la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur fi-
nancement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la
procédure pénale) semble prendre le relais d’un régime
d’exception qui, par sa nature, ne saurait durer.
SAF MARSEILLE
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