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13 | JDB MARSEILLE 3 / 2023 LA PAROLE AUX COMMISSIONS / COMMISSION PENALE quer que le principal sous argument qui tient au risque pour la vie des agents des services d’enquêteurs qui posent physiquement les dispositifs actuels, n’a pas trouvé un début de matérialisation en près de 20 ans de pratique. Autre argument, scandé cette fois-ci par le ministre8 dans la presse, le déclenchement à distance d'appareils connectés est déjà utilisé par les services de renseignement sans l'autorisation du juge qui sera désormais indispensable. Cela relèverait donc d’une logique de mise à jour de la protection des droits. Ce second argument est beaucoup plus inquiétant, surtout si l’on considère l’autorité de laquelle il émane. Idem pour la logique à l’œuvre qui confine à la légalisation forcée de pratiques discutables du seul fait de leur existence. Une rédaction permissive Outre la justification branlante, la légèreté légistique du texte inquiète, puisque sont concernés tous les appareils électroniques. Il ne semble faire aucun doutes des débats que les rédacteurs et rapporteurs du texte n’avaient en vue que les téléphones et ordinateurs portables mais cette intention peine à se traduire textuellement. Et faute d’amendements ou de réserves interprétatives qui viendront peut-être, en l’état, comme a pu le soutenir le député Ugo Bernalicis dans un coup communicationnel non dénué de malice, le texte ne pose pas de limite et nul ne peut prévoir ce que l’ingéniosité des enquêteurs rendra possible demain. Ce constat avait d’ailleurs conduit ce dernier à déposer un amendement qui n’a bien évidemment pas prospérer pour exclure les objets sexuels connectés9 du dispositif. Plus sérieusement, certaines associations comme La Quadrature du Net craignent, que tout objet connecté ne devienne un potentiel mouchard, et forcé de constater que vu la pénétration totale dans le quotidien des appareils électroniques connectés, il n’est en effet pas à exclure qu’à la faveur de l’imagination des enquêteurs, les objets du quotidien puissent se transformer en potentiels mouchards. A cet effet, la liste est interminable et des plus inquiétante : téléphones fixes connectés, les assistants vocaux, les montres, les babyphones, les trottinettes, les frigos connectés, les systèmes GPS, systèmes d’alarmes connectés… et même sex-toy connectés. Des garanties illusoires Signe de notre époque, toute atteinte à nos libertés s’accompagne désormais de la nécessaire et parfois incantatoire « conciliation équilibrée entre l’objectif de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée ». Premier garde-fou invoqué, le désormais traditionnel critère tiré de la gravité de la sanction encourue. Or force est de constater, que dans un contexte d’inflation à la hausse du quantum des peines et de criminalisation à outrance en ouverture des procédures délictuelles, cette garantie n’en est malheureusement plus une. Deuxième garde- fou invoqué, le contrôle du juge en flagrance, en préliminaire ou en information judiciaire ainsi que la limitation de la durée de l’utilisation de cette méthode d’investigation.10 Relativement à celui-ci, on aimerait en voir figurer dans l’étude d’impact des données chiffrés permettant d’envisager depuis une perspective concrète le ratio demandes/autorisations en présence dans des demandes déjà soumises à autorisation d’un magistrat. Nul doute alors que nous aurions été surpris par l’infinitésimale quantité de décisions de refus. Le troisième garde-fou invoqué tient de la protection de ceux qui travaillent dans le secret. En l’état, la captation ne pourrait jamais être mise en œuvre dans le cabinet d’un avocat, son domicile ou son véhicule, et ce à peine de nullité. Premier problème de taille, ce contrôle n’intervient qu’à posteriori une fois que la captation a eu lieu. Ainsi, l’exploitation hors procédure de ce qui ne devait pas être enregistré reste possible par les enquêteurs. Ne manquera pas de se poser également la question d’une écoute illégale qui viendrait révéler la commission ou la participation à une infraction.11. Enfin, rien n’est explicitement prévu pour les collaborateurs de ceux qui travaillent dans le secret, et ce, à l’heure ou nos habitudes de travail ont changés et que les secrets professionnels sont devenus des secrets partagés.12 L’heure des incertitudes A l’heure ou le modeste auteur de ces quelques lignes manque de s’ébouillanter avec son café en parcourant le projet de loi, et que son estimé 1 Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 20232027 2 Dans le cadre d’une procédure d’examen accélérée 3 Extension de la possibilité de recourir aux perquisitions de nuit, réforme du statut du témoin assisté, limitation de la détention provisoire, choix laissé au procureur d'ouvrir ou non une information judiciaire, placement sous bracelet électronique en cas de détention provisoire irrégulière etc. 4 Vincent Nioré, Actu-juridique.fr 23/05/2023 5 Encadrées respectivement par les articles 230-32 à 230-44 et 706-96 à 706-98 du code de procédure pénale. La captation a été introduite en Droit français à la faveur d’une loi de 2004 dite « adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ». Initialement réservée au cadre protecteur de l’information judiciaire elle a fini par être étendue à la faveur de trois réformes à l’ensemble de la procédure pénale 6 NOR : JUST2305124L/Bleue-1 p.131 à 142 7 Sans la moindre donnée chiffré ou la moindre référence à un avis technique ou expertal ou à une audition d’un professionnel 8 EDM repris par le Point, dont l’excellent Me Charles BENOIT ne s’était pas trompé en annonçant sa mort comme avocat lors de notre dernière rentrée solennelle https://www.lepoint.fr/politique/justice-l-assemblee-approuve-l-activation-descameras-et-micros-de-telephones-a-distance-05-07-2023-2527561_20.php#11 9 Aussi surprenant que cela puisse sembler, Il est précisé que de tels appareils existent réellement, vous pouvez par exemple acquérir pour quelques centaines d’euros un « Svakom Siime Eye » connecté au wifi et qui jouit d’une prodigieuse autonomie de 2h30 10 Dans le cadre d’une enquête préliminaire ou de flagrance, l’autorisation, en l’état actuel du projet, serait délivrée par le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, pour une durée d’un mois renouvelable une fois. Dans le cadre d’une information judiciaire, cette autorisation serait délivrée par le juge d’instruction pour une durée de 4 mois renouvelable dans la limite de 2 ans. 11 Que la jurisprudence récente de la Cour de Cassation n’a eu de cesse de valider

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