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VOTRE BARREAU 40 | JDB MARSEILLE 1 / 2023 Ainsi pourraient-ils se rendre compte de ce qu’il faut faire et surtout de ce qu’il ne faut pas faire. On apprend autant en écoutant un mauvais qu’un bon plaideur… Quant à nos jeunes confrères, j’entends parfois des propos injustes dirigés à leur endroit ; pour ma part, il me semble essentiel de dire que la plupart d’entre eux sont courageux et que certains sont talentueux. De plus, il ne faut pas oublier que ce sont eux qui, la plupart du temps, assurent les permanences pénales et interviennent au titre de l’aide juridictionnelle. Les justiciables et les pouvoirs publics devraient leur en être reconnaissants. Enfin, j’ai toujours trouvé désolant que les cabinets dont ils sont les collaborateurs leur confient des affaires particulièrement ardues au dernier moment les privant ainsi de toute forme de réflexion, et entraînant des plaidoiries parfois inappropriées. Ils doutent alors à tort de leurs aptitudes, ce qui est infiniment déstabilisant et regrettable. Comment as-tu vécu l’évolution de notre profession ? Depuis toujours nous nous plaignions beaucoup de la situation de notre profession et de ses conditions d’exercice. Pour autant, j’ai, durant toute ma vie professionnelle, été émerveillée qu’un client s’adresse à moi plutôt qu’à un autre confrère. Cette confiance suscitait ma gratitude mais plus encore, au-delà de toutes les contraintes auxquelles nous devons faire face, elle m’a fait comprendre que nous avions cette chance extraordinaire de percevoir des honoraires pour exprimer librement le fond de notre pensée, bien entendu dans la limite des intérêts de nos clients. Si l’évolution de la profession est marquée par l’intrusion des nouvelles technologies et l’évolution de la société, il n’en demeure pas moins vrai que nous continuons à transmettre la passion de son exercice. Ainsi, je suis devenue avocat par hasard, parce que je voulais travailler avec mon père. Mais il s’est trouvé que cela m’a passionnée au point que j’ai, par tous moyens, incité mon fils à la rejoindre. Et je constate qu’il y a toujours au barreau, malgré les difficultés actuelles de notre exercice et nos plaintes incessantes, de nombreux enfants d’avocats. Ainsi, je crois m’être parfaitement adaptée aux évolutions de notre profession. Tu t’es beaucoup impliquée dans la profession, peux-tu nous dire ce qui t’y a incité ? J’ai exercé trois mandats au sein du Conseil de l’ordre. Si je m’y suis présentée c’est parce qu’ayant relevé des dysfonctionnements, il m’a paru plus constructif de m’investir dans l’institution que de me limiter à de stériles critiques. Cette expérience m’a beaucoup intéressée et appris. J’ai d’abord découvert que des confrères dont je ne partageais pas les valeurs pouvaient en réalité être très pertinents dans leur vision des questions professionnelles, quand d’autres, dont a priori je me sentais proche, ont pu me décevoir. Participer au Conseil de l’ordre, c’est ainsi découvrir ses confères. À ce sujet, je me souviens de mille anecdotes dont celle-ci. Le bâtonnier Marc Greco, qui fut un excellent bâtonnier, était très autoritaire. Lors d’un Conseil de l’ordre et sans qu’il nous ait consultés il nous a fait connaître la décision qu’il allait prendre. Le connaissant depuis l’enfance, et étant très proche de lui, je me suis permise de prendre la parole pour lui suggérer aimablement de nous demander notre avis. Cet homme fin et plein d’humour m’a répondu : « Tu as raison Nicole, mais je suis un dictateur, je le sais, et j’ai raison. » Et il avait raison. J’ai aussi appris à connaître l’institution ordinale, ses fonctionnements, son utilité et ses limites. Je me suis donc ensuite présentée au bâtonnat. Cela me semblait légitime compte tenu de mon implication au sein de l’Ordre, et après avoir été trois fois élue au Conseil de l’ordre. Je n’ai ressenti aucune amertume d’avoir été battue dans la mesure où j’avais été une candidate absolument libre de tout soutien syndical ou institutionnel et que mon score a été plus qu’honorable. D’autant que mon père, qui s’était aussi présenté à cette élection, avait lui-même été battu. Mais contrairement à ce qui se dit parfois, il en a été pour sa part très affecté. Evidemment, et je le dis en souriant, j’ai été infiniment heureuse que mon fils ait rompu avec cette malédiction familiale en étant de surcroît élu au premier tour. Il ne doit cette élection qu’à luimême, et si je n’en ai pas été « fière », j’ai, en revanche, été extrêmement touchée de la confiance que lui ont manifestée ses pairs. Tu as plaidé pour Pauletto et pour bien d’autres grands criminels. Quels enseignements en as-tu tiré ? Compte tenu des affaires que j’ai eu la chance de plaider en matière pénale, non seulement cela m’a permis de mieux comprendre la nature humaine mais également, comme le dit fort bien mon ami le bâtonnier Christol, d’aller au fond de moi-même pour mieux comprendre les autres. Ainsi ai-je pu gagner en indulgence et porter sur mes semblables un regard plus bienveillant. J’ai aussi compris, comme le plaidait fort justement l’un de nos confrères, que quel que soit le crime odieux qu’ait pu commettre un accusé celui-ci porte néanmoins toujours en lui une parcelle de Dieu. Aucun être humain n’est totalement bon ou mauvais, raison pour laquelle tout homme a le droit d’être défendu. Et cela je me suis efforcée de le transmettre. La seule question qui se pose, me semble-t-il, est comment défendre ses semblables, ses « frères humains » comme l’écrivait François Villon, sans trahir ses convictions et sans, de ce fait, perdre son âme ? Notre profession continue de me passionner et je suis de près l’actualité judiciaire et juridique. J’ai le fort sentiment qu’être avocat est un privilège dont il faut savoir mesurer l’importance. Ce qui m’insupportait, à la fin de ma carrière, c’était d’avoir l’obligation, à cause des nouveaux procédés technologiques, de répondre aux clients dans l’immédiateté. Or, je pense que la réflexion est indispensable au bon accomplissement de notre mission. Sans elle je ne crois pas que l’on puisse conseiller utilement ses clients.

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