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36 | JDB MARSEILLE 1 / 2023 CULTURE / POP AVOCAT C’est au cœur de la 2e saison de Breaking Bad que les amateurs de séries ont découvert le personnage haut en couleurs de Saul Goodman, un avocat aux méthodes radicales, prêt à toutes les manœuvres et les entourloupes pour conseiller et assister ses clients. Rendu célèbre par une publicité télévisée de médiocre facture et officiant dans un cabinet surmonté d’une statue de la Liberté gonflable, Saul Goodman va accompagner les aventures de Walter White et Jessie Pinkman, et contribuer à donner une dimension industrielle à leur petite entreprise de production de méthamphétamines. Durant trois saisons, ce truculent confrère, campé par un impeccable Bob Odenkirk, va ainsi suivre – et parfois devancer – le duo de chimistes dans les méandres du narcotrafic à la frontière entre le Mexique et le Nouveau Mexique, et imprégner de sa marque une série remarquée et figurant parmi les plus gros succès critiques de la fin de la décennie 2000. C’est donc presque naturellement que, moins de deux ans après la fin de Breaking Bad, le créateur de la série Vince Gilligan, va faire de Saul Goodman le personnage titre d’une nouvelle œuvre, diffusée sur Netflix de 2015 à 2022. Syndrome de l’imposteur L’intrigue de Better Call Saul se déroule quelques années avant celle de Breaking Bad, au mitan des années 1990, au temps où un certain James Mc Gill (surnommé "Slippin’ Jimmy" ou "Jimmy l’embrouille") décide de troquer sa vie petit escroc de Cicero, dans l’Illinois, pour devenir avocat du côté d’Albuquerque, dans le Nouveau-Mexique. Il décroche pour cela un diplôme par correspondance de l’université des Samoas américaines et réussit à intégrer le barreau du Nouveau-Mexique, sous le regard médusé de son frère Chuck Mc Gill, avocat à la réputation impeccable dans le milieu judiciaire de l’Etat, salué pour sa probité, son sens de la justice et sa rigueur. L’entrée fracassante de Slippin’ Jimmy dans cet univers feutré va exacerber une relation digne des Atrides et transformer progressivement, entre ces deux frères que tout oppose, la tendresse en aigreur, l’admiration en haine et la haine en un tenace ressentiment. Alors qu’il fait ses premiers pas dans le métier, dans l’ombre cyclopéenne de son frère, on aperçoit ainsi déjà, sous l’imposteur complexé James Mc Gill poindre Saul Goodman, l’archétype de l’avocat véreux, bouffon pathétique sans doute ni scrupules. Une figure qui se construit pas à pas, dans un récit, somme toute, assez classique de l’ascension et de la chute d’un Icare bavard et bravache. Récit d’une métamorphose Sous cet aspect narratif, Vince Gilligan profite des premiers épisodes de la série pour prendre à contrepied le spectateur et nuancer l’exubérance du Saul Goodman de Breaking Bad en construisant un récit picaresque dans lequel la métamorphose du héros dessine progressivement les conditions de sa chute. Le showrunner fait ainsi naviguer son personnage entre plusieurs époques, alternant le temps du récit de Better Call Saul, mettant en scène les premières années de sa carrière d’avocat, et les suites immédiates Breaking Bad, lorsque le héros, apprenti-sorcier déchu et traqué par ses anciens clients, s’exile dans le Nebraska et endosse une nouvelle identité sous le nom de Gene Takavic pour vendre des cinnamon rolls dans un mall. Cette alternance des flash-backs et des flash-forwards, au milieu d’un récit assez linéaire, dessine un personnage insaisissable, dont on ne sait trop dire, BETTER CALL SAUL OU LES TROIS VIES DE JIMMY Après six saisons, le spinoff de Breaking Bad diffusé sur Netflix a réussi à s’imposer comme une référence des séries judiciaires en proposant une galerie de personnages justes et pertinents au service d’une écriture riche et efficace avec la profession d’avocat comme point focal ME PIERRE LE BELLER

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