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37 | JDB MARSEILLE 1 / 2023 CULTURE / ART & DROIT même après plus de neuf saisons passées en sa compagnie (trois saisons de Breaking Bad et six saisons de Better Call Saul), s’il est foncièrement bon ou mauvais, génial ou pathétique, enfin avocat ou toujours escroc. Car si la relation que Jimmy entretient avec son frère Chuck apparait rapidement comme un des ressorts narratifs des premières saisons, la série brille surtout par le récit très bien construit de la carrière chaotique de son antihéros et par cette métamorphose progressive du personnage-titre. Perclus par le syndrome de l’imposteur que lui renvoie ce frère honni, trop lisse et trop présentable, James Mc Gill finira par abandonner ce patronyme trop lourd à porter pour devenir Saul Goodman, une contraction de "It’s all good man" [« c’est tout bon mec »] dont l’ancien aigrefin aimait s’affubler naguère lorsqu’il ficelait des mauvais coups. Comme pour Walter White dans Breaking Bad, humble professeur de chimie d’un lycée d’Albuquerque malmené dans sa classe et dans son couple, métamorphosé en baron du trafic de méthamphétamines sans états d’âmes, Better Call Saul dépeint pas à pas la transformation d’un personnage sans relief en vrai salaud, sans que le spectateur ne s’en rende véritablement compte. Personnages d’avocats en contrastes Car les qualités de la série en termes d’écriture, de distribution et de réalisation ne se font pas au détriment du fond, et de la fonction presque documentaire de Better Call Saul lorsqu’il s’agit de dépeindre le système judiciaire US, ainsi que la vie des avocats Outre-Atlantique. Singulièrement cette histoire se nourrit de la réalité que constitue aux EtatsUnis comme ailleurs la vie personnelle et professionnelle d’un avocat. On y suit ainsi l’ambitieux James Mc Gill et ses costumes criards, construire de manière chaotique sa carrière ; d’abord domicilié dans l’arrière-boutique d’un salon de massage vietnamien et enchainant les missions de défense pénale à l’AJ ; avant d’intégrer un cabinet d’affaires prestigieux et, à nouveau, créer sa propre structure. Dans cette série cathédrale, les thèmes abordés résonnent alors avec une grande pertinence aux oreilles d’avocats, notamment lorsque Saul s’interroge sur son avenir, son mode d’exercice, lorsqu’il est confronté aux dilemmes de l’installation, aux problèmes de facturation, aux relations parfois difficiles avec les magistrats ou lorsqu’il décide de se faire connaitre par une méthode toute particulière de sollicitation personnalisée. Peu enclin au respect des règles déontologiques, Slippin’ Jimmy rattrape souvent James Mc Gill, jusqu’au point de rupture et l’entrée en scène de Saul Goodman, pour le meilleur, mais surtout pour le pire. La série offre également aux spectateurs une galerie de personnages d’avocats particulièrement réussis. Au cours des premières saisons, Better Call Saul se structure autour d’un quadrige d’avocats aux personnalités, aux intérêts et aux talents difficilement conciliables. En sus du duo terrible Chuck/Jimmy unis par la haine réciproque qu’ils se vouent, l’insupportable Howard Hamlin, associé de Chuck et l’honnête et courageuse Kim Wexler, associée et compagne de Saul complètent un tableau tout en contrastes. Ces quatre personnages permettent de construire quatre modèles d’avocats, qui tranchent plutôt avec ceux habituellement véhiculés par la pop culture. « Si Dieu a créé les serpents avant les avocats c’est qu’il avait besoin d’un brouillon » dira le fanfaron Saul Goodman dans un de ces aphorismes dont il a le secret. Pourtant, malgré les apparences, Better Call Saul ne décrit pas des avocats en majesté, des êtres arrogants et sans scrupules, mais des personnages cabossés, fragiles, en proie aux doutes et aux questionnements ; des artisans du droit plutôt que des industriels du vide. Saluée par la critique à l’instar de sa grande sœur, Better Call Saul apparait comme une série à l’image de son anti-héros, faussement désinvolte et dilettante, beaucoup plus profonde et exigeante qu’il n’y parait. Une série qui casse surtout l’image habituelle des avocats et rend un hommage sobre à une profession que la pop culture a souvent tendance à promouvoir avec de fausses recettes. Et si la série qui s’est achevée en 2022 reste dominée par le rôle-titre de Saul Goodman, on peut se demander si la véritable héroïne n’en est pas la talentueuse, dévouée et au combien patiente Kim Wexler, qui incarne à elle seule les qualités positives qui manquent cruellement à Saul, ce hâbleur incorrigible. Kim Wexler, qui n’apparait pas dans Breaking Bad, est sans conteste la meilleure surprise de Better Call Saul, une âme pure et attachante dans un univers étouffant, et sans laquelle on comprend mieux pourquoi le destin de Slippin' Jimmy est scellé lorsque se termine le tout dernier épisode. [ Cette alternance des flash-backs et des flashforwards, au milieu d’un récit assez linéaire, dessine un personnage insaisissable, dont on ne sait trop dire, même après plus de neuf saisons passées en sa compagnie s’il est foncièrement bon ou mauvais, génial ou pathétique, enfin avocat ou toujours escroc. ]

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