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20 | JDB MARSEILLE 1 / 2023 LA PAROLE AUX COMMISIONS / DROIT IMMOBILIER giquement (après un débat de plus de 10 ans, mais c’est une autre histoire) le délai de droit commun de 5 ans qui s’applique… Et voilà les constructeurs face à ce dilemme : attendre d’être eux-mêmes assignés dans le délai décennal, au risque de laisser s’écouler le délai quinquennal, ou assigner à titre conservatoire, avant demande de condamnation à leur encontre. Dans le second cas, le plaideur risque d’agir trop tôt. Dans le premier cas, il risque d’agir trop tard…. Le dilemme cornélien, par excellence. Des deux maux, nous choisissions en règle générale le moindre : agir trop tôt. II. La solution. Désormais, le temps nous est donné de la réflexion et de l’action à propos, le point de départ des recours entre constructeurs étant la demande de consécration d’un droit. Cette demande sera le plus souvent formée par l’assignation au fond, mais pas systématiquement (il est recommandé aux plaideurs de rester attentifs au contenu des assignations en référé qui peuvent elles-mêmes comporter de telles demandes). Tel est, en effet, l’objet de ce revirement. La mécanique intellectuelle du revirement du 14 décembre mérite donc d’être précisée, par la citation d’extraits de la décision, au contenu pédagogique (c’est une de évolutions récentes des décisions du quai de l’horloge) qui nous éclaireront sur les motivations profondes de l’arrêt. - point 14 : rappel de l’état antérieur : 14. Par un arrêt rendu le 16 janvier 2020 (3e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 1825.915, publié), la troisième chambre civile a jugé, d'une part, que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relevait des dispositions de l'article 2224 de code civil et se prescrivait par cinq ans à compter du jour où le premier avait connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, d'autre part, que tel était le cas d'une assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur principal, laquelle mettait en cause la responsabilité de ce dernier. - point 15 : le dilemme pour les plaideurs, découlant de cette jurisprudence de 2020 : 15. Cette dernière règle oblige cependant les constructeurs, dans certains cas, à introduire un recours en garantie contre d'autres intervenants avant même d'avoir été assignés en paiement par le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, dans le seul but d'interrompre la prescription. - point 16 : la motivation profonde de la décision, désencombrer les juridictions en les débarrassant des recours préventifs c’est un impératif quantitatif, qui dicte donc en partie ce revirement : 16. La multiplication de ces recours préventifs, qui nuit à une bonne administration de la justice, conduit la Cour à modifier sa jurisprudence. - point 17 : l’habillage juridique, ne pas sanctionner celui qui ne peut agir (on pourrait disserter sur le caractère incontestable de cette motivation) : 17. Le constructeur ne pouvant agir en garantie avant d'être lui-même assigné aux fins de paiement ou d'exécution de l'obligation en nature, il ne peut être considéré comme inactif, pour l'application de la prescription extinctive, avant l'introduction de ces demandes principales. - point 18 : la solution, une définition plus souple du point de départ glissant de l’article 2224 du code civil : 18. Dès lors, l'assignation, si elle n'est pas accompagnée d'une demande de reconnaissance d'un droit, ne serait-ce que par provision, ne peut faire courir la prescription de l'action du constructeur tendant à être garanti de condamnations en nature ou par équivalent ou à obtenir le remboursement de sommes mises à sa charge en vertu de condamnations ultérieures. III Les motivations. Telle est la mécanique de ce revirement, qui constitue en réalité une correction de la solution antérieure, aux effets dévastateurs sur la sécurité juridique et aux effets pervers sur l’encombrement des juridictions, qui avaient été maintes fois dénoncés. Les participants au colloque DROIT ET CONSTRUCTION du GRECA le 21 octobre dernier, au GTP d’Aix-en-Provence, avaient d’ailleurs pu déduire des propos du conseiller Monsieur Zedda, rapporteur dans cette espèce, ce revirement annoncé. Effets dévastateurs, effets pervers… qu’il est facile après coup de qualifier (disqualifier ?) la jurisprudence abandonnée. Vae victis ! Et pourtant, l’analyse juridique stricte pourrait donner raison à la solution de 2020, considérée par certains comme plus orthodoxe. Pourquoi alors un tel revirement, sinon pour sacrifier à l’impératif absolu de la justice contemporaine : désencombrer les juridictions. En l’espèce, mettre un terme à des actions préventives résultant des conséquences de la solution retenue le 16 janvier 2020. Ainsi, la solution n’a pas changé parce qu’elle était erronée, mais par ses conséquences comptables en termes d’encombrement de juridictions. Relisez en effet, le point 16 ci-dessus rappelé : 16. La multiplication de ces recours préventifs, qui nuit à une bonne administration de la justice, conduit la Cour à modifier sa jurisprudence. En conclusion - et pour qui en douterait encore - le constat des lenteurs de la fonction judiciaire régalienne, n’a pas seulement pour conséquence, l’accroissement des moyens de la Justice pour faire face aux attentes (légitimes) des justiciables, il se traduit aussi par des accommodements raisonnables visant à limiter la saisine des tribunaux. Autant en emporte le vent…

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