JDB_N4_2022_WEB

Le sprinteur au départ d’un 100 mètres ne connaîtra son « chrono » qu’à l’issue de sa performance, mais il sait néanmoins qu’il doit s’élancer précisément au son du pistolet. De même, si le navigateur ignore souvent quelle sera la durée exacte de son périple, son jour et port de départ lui sont en principe connus. A l’inverse, en matière de recours entre constructeurs, si nous connaissons désormais bien la durée du délai d’action (5 ans), en revanche le point de départ dudit délai est quant à lui (à ce jour) encore sujet à débat. Nous naviguons donc pour une durée déterminée, mais à partir d’un point de départ indéterminé. Décryptage I. Divergences de points de vue entre les ordres juridictionnels S’agissant de l’ordre judiciaire, après qu’il ait été envisagé - voire tenté - de soumettre les recours entre constructeurs au délai de dix ans à compter de la réception des travaux par référence aux articles 1792-4-2 (concernant les actions en responsabilité contre les sous-traitants) et 1792-4-3 du code civil (concernant les dommages ne relevant pas des garanties légales des constructeurs), il est désormais clairement admis que ce type de recours relève des dispositions de l’article 2224 du code civil et partant de la prescription quinquennale. Cette évolution jurisprudentielle s’explique de façon assez rationnelle eu égard notamment aux difficultés et critiques - majoritairement légitimes - quant à l’hypothèse de fonder le recours entre constructeurs sur les principes des articles 1792-4-2 et 1792-4-3 du code civil. Nous ne reviendrons pas sur chacune desdites critiques, mais retenons à tout lemoins qu’elles étaient nombreuses (risque de privation de recours effectif pour les constructeurs assignés en fin de délai décennal, prise en compte de manière illogique de la réception comme point de départ du délai, esprit du texte non respecté dès lors que ces articles étaient positionnés dans une partie du code civil traitant des actions en réparation menées par les propriétaires de l'ouvrage affecté de désordres, etc.) Aujourd’hui, la situation s’est quelque peu éclaircie dès lors que la Cour de cassation a clairement affirmé à l’occasion de trois arrêts de principe devenus célèbres, rendus le 16 janvier 2020, et tous publiés au Bulletin, que les recours entre constructeurs ont pour fondement l’article 2224 du code civil et doivent donc être exercés dans le délai de cinq ans édictés par ledit article (cf. notamment Cass. Civ. 3ème, 16 janvier 2020, n°1825915). La question de la durée du délai d’action des recours entre constructeurs semble donc désormais tranchée. La question plus épineuse demeure toutefois celle du point de départ de ce délai d’action. Pour mémoire, l’article 2224 du code civil dispose : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ». La question est donc de savoir quel est « ce jour », dans le cadre du contentieux de la construction, où, précisément, le constructeur a connaissance des « faits » lui permettant d’exercer son recours à l’encontre des autres constructeurs ? D’évidence, la partie se joue entre : l’assignation initiale en référé expertise, le rapport de l’expert judiciaire, ou encore l’assignation en paiement. Aux termes de l’un de ses arrêts du 16 janvier 2020, la Cour de cassation a fait le choix d’opter pour la première hypothèse, à savoir l’assignation en référé de l’auteur du recours (Cass. Civ. 3ème, 16 janvier 2020, n°18-25915). Cette position a en outre été confirmée par deux arrêts du 1er octobre 2020 (Cass. Civ. 3e, 1er octobre 2020, n°19-21502 et n°1913131) aux termes desquels la troisième chambre affirme notamment avec une référence à un précédent arrêt de 2016 : « Attendu qu'il s'ensuit que le recours d'un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l'article 2224 du code civil ; qu'il se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; Attendu que laCour de cassation a jugé que l'assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l'ouvrage à l'entrepreneur principal met en cause la responsabilité de ce dernier et constitue le point de départ du délai de son action récursoire à l'encontre des sous-traitants (3e Civ., 19 mai 2016, pourvoi n° 1511.355) ; » La troisième chambre civile considère donc que c’est l’assignation en référé qui donne le « top départ ». S’agissant des juridictions de l’ordre administratif, le Conseil d’État considère, de manière désormais constante, qu’une partie n’a connaissance de ce que sa responsabilité est mise en cause dans le cadre d’un recours entre constructeurs qu’à la date à laquelle elle est assignée en paiement ou en exécution forcée, que ce soit au fond ou à titre provisionnel (Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 10/02/2017, 391722). Le Conseil d’État précise également dans son arrêt du 10 février 2017 qu’une demande en référé-expertise introduite par le maître d'ouvrage « ne peut être regardée comme constituant, à elle seule, une recherche de responsabilité des constructeurs par le maître d'ouvrage dès lors qu’elle ne présente pas un caractère indemnitaire ». Le point de départ retenu par les juridictions de l’ordre administratif est ainsi constitué par la requête indemnitaire. Divergences donc de point de vue entre les CONSTRUCTION Divergences et hésitations sur le point de départ du délai de recours entre constructeurs. 32 | JDB MARSEILLE 4 / 2022 ME PIERRE-ALEXANDRE VITAL RÉFORMES

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