Journal du Barreau de Marseille
numéro 4 - 2016
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Le procès de la Castafiore : pourquoi ?
Il faut (re) lire l’albumTintin et les Picaros. Il parait en 76. Ce n’est
pas le préféré de la plupart des lecteurs, l’intrigue est compli-
quée, trop de personnages, trop de choses à la fois, quelques
vignettes paraissent sorties de l’Oreille Cassée, d’autres de Tin-
tin au Congo. Sans doute Hergé est-il las : quand il dessine cet
album, il a soixante-neuf ans et ça fait quarante- sept ans qu’il
dessine sa créature. Dans l’Alph’Art l’albumqui allait suivre et qui
ne fut jamais terminé, Hergé a envie d’en finir avec Tintin en le
destinant ( depuis plusieurs années il est devenu fan d’art
contemporain) à être transformé en compression de César, cela
au moment même où Tintin est prêt à tomber amoureux pour la
seule fois de sa vie, d’une certaine Martine…Mais revenons à
l’album qui en vérité n’est pas si mauvais que cela et recèle
quelques pépites
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et à Bianca. La cantatrice est jugée par un tri-
bunal militaire du San Theodoros un pays d’Amérique latine
gouverné par le dictateur Tapioca qui en a renversé un autre, le
fameux général Alcazar. Elle n’est pas seule à comparaître, car il
y a aussi les Dupondt. Le procureur va demander contre les Du-
pondt la peine de mort. Et contre le Rossignol Milanais la prison
à vie. Comment en est-on arrivé là ?
Les chefs d’accusation
La Castafiore s’est rendue au théâtre de Tapiocapolis. On ne sait
pas ce qu’elle a chanté, mais on s’en doute : du Puccini, du Ros-
sini, du Verdi ou du Gounod. Elle a chanté devant le général Ta-
pioca. À l’issue de la représentation, elle est arrêtée. À
Moulinsart nos amis apprennent la nouvelle : Haddock le prend
à la rigolade, Tintin ne parait pas très concerné. Seul Tournesol
effondré réclame l’intervention de la Ligue des Droits de
l’homme, il est vrai qu’il en pince (comme le Crabe d’Or) depuis
longtemps pour la belle plante aux formes généreuses à qui il a
offert des roses (Voir Les bijoux de la Castafiore). Bianca est-elle
accusée d’avoir raté ses trilles en chantant pour la énième fois
l’Air des bijoux ? Non, le régime santhéodorien n’est ni mélo-
mane, ni esthète, il ne connait rien à la musique sinon militaire et
encore. Est-elle tombée sous le coup de la législation pénale
transgenre du Code pénal santhéodorien ? On sait que, depuis
les révélations d’un certain Albert Algoud, auteur d’une biogra-
phie revisitée de La Castafiore, celle-ci n’est pas de Milan, mais
de Naples et qu’elle est un castrat. Alors ? Le Procureur accuse
en fait la Castafiore d’être le cerveau, pas moins, d’un complot
contre le San Theodoros, organisé par une bande de conjurés
(Tintin, Haddock, Tournesol) en association avec une mysté-
rieuse International Banana Company.
L’organisation du procès
Entre les premières pages de l’album et la page 48 de l’édition
française qui met en scène le procès, il s’est passé du temps.
Haddock accusé et provoqué par Tapioca a pris l’avion avec
Tournesol et s’est rendu sur place. Tintin resté à Moulinsart les a
rejoints. Ils retrouvent le général Alcazar (l’ex Ramon Zarate lan-
ceur de couteaux dans Les boules de cristal) et découvrent au
passage la Peggy bigoudi. Tournesol la trouve exquise et pleine
de grâce, quel séducteur ce Tryphon ! Le procès de la Castafiore
s’ouvre. Il est militaire. Justice d’exception, bref absence de jus-
tice. La dernière audience, il y en a eu plusieurs, est résumée par
Hergé en deux pages et dix — neuf vignettes. Ce n’est qu’un si-
mulacre. Aucune chance n’est laissée ni aux Dupondt ni à la Cas-
tafiore. Ils n’ont pas d’avocat. Le procureur est évidemment un
militaire à la rhétorique douteuse. Il éructe, et s’il concède au
passage que Bianca a une « voix d’or » et un « incontestable ta-
lent » c’est pour mieux stigmatiser son côté pervers et manipula-
teur. La messe est dite. On n’entend cependant pas la sentence.
Car l’audience dérape…
Quel système de défense pour la Castafiore ?
Elle comparait dans la même tenue, très chic, tailleur rose,
qu’elle arborait lors de son arrivée au San Theodoros. On en dé-
duit qu’entre son arrestation et l’audience, même en prison, elle
a conservé son standing et n’a pas été maltraitée. Au contraire,
c’est elle qui en fait voir de toutes les couleurs à ses geôliers. L’un
d’eux repart avec un seau de pâtes sur la tête, car en authentique
Italienne elle ne supporte pas la pasta qui n’est pas cuite vrai-
LES GRANDS PROCÈS DU XXÈME SIÈCLE
LE PROCÈS
DE LA CASTAFIORE
Année Hergé oblige (Expo au Grand Palais,
parution du «Dictionnaire amoureux de Tintin » par
Albert Algoud, réédition de « Hergé fils de Tintin »
de Benoit Peeters) le Journal du Barreau ne
pouvait rester à l’écart de l’évènement. Prétexte à revenir
sur un des grands procès du XXème siècle, méconnu pourtant,
celui de Bianca Castafiore !
© Hergé-Moulinsart 2014
HISTOIRE