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payer à Maîtres… (les auteurs de la plaisanterie) un bon repas. » Actuellement, une telle anecdote serait impensable. Vous avez eu 100 ans, vous avez assisté à une évolution incroyable. Comment voyez-vous l’évolution de la profession à travers toutes ces époques ? L’oralité des débats sera un jour qualifié de légende. Les avocats ne s’exprimeront utilement que devant les Cours d’assises. Actuellement, bien souvent les magistrats demandent aux avocats de déposer leur dossier sans plaidoirie. Ainsi, juste avant de prendre ma retraite j’ai rencontré un confrère qui venait de Lyon et m’a dit : « J’ai été reçu comme un chien par votre tribunal, je ne vous félicite pas pour votre tribunal ! Je suis venu pour plaider j’ai préparé mon dossier et la juge m’a dit de le déposer et qu’elle ne voulait pas m’entendre. J’ai jeté mon dossier entre les mains de la greffière et je suis parti sans saluer. » Au siècle dernier, un tel incident eut été improbable. Les magistrats écoutaient les avocats, dont la bonne foi pouvait apparaître en raison de la conviction qui animait leur plaidoirie. En effet, le rôle de l’avocat consiste à chercher la vérité et à la transmettre par sa plaidoirie. La confiance mutuelle que nous nous accordions entre avocats reposait sur des liens personnels étroits qui se sont distendus au sein d’une famille dont le nombre de membres avait décuplé. Est-ce que vous vous souvenez de votre première plaidoirie ? Je n’ai pas un souvenir précis car dès que j’étais à la barre, je n’étais plus Henry Fournier, j’avais mon dossier dans la tête, j’exprimais mes convictions, je n’avais pas même notion que j’étais en train de plaider. Mes réactions me surprenaient parfois. Par exemple, je me rappelle quand au tribunal de commerce un confrère m’a dit brusquement : « Fournier vous venez de m’interrompre et bien j’ai perdu le fil maintenant ! » Je me tourne alors vers les juges, les deux bras tendus en avant, et déclare : «Mais non le voilà, le voilà le fil ! » Je me souviens aussi du bâtonnier Renaudin qui disait : « le petit Fournier j’ai horreur de plaider contre lui, il ne me prend pas au sérieux, il plaisante et je perds le fil, je suis désarçonné, le petit Fournier m’énerve ! » Le petit Fournier était connu pour le lien étroit qu’il entretenait avec un chien noir qui était juché en permanence sur sa moto (J’ai arrêté la moto il y a trois ans lorsque j’ai pris ma retraite.) Auriez-vous un conseil à nous donner ? Être vrai, ne jamais travestir la vérité car vous en souffrirez les premiers. Il faut d’abord être certain que l’on connaît la vérité avant de la transmettre. C’est surtout vrai pour les affaires pénales. J’avais représenté un client dans une affaire de litige de construction. Il m’a désigné pour l’assister dans une affaire pénale. Il avait en effet tué et découpé en morceau son associé avant de l’immerger dans du béton. Il a soutenu devant le juge d’instruction qu’il n’était pas l’auteur du crime, mais reconnaissait le sort donné au corps de la victime. Sa thèse a été réfutée par le témoin qu’il avait fait citer. Je l’ai invité à dire la vérité. Et il m’a répondu : « Après le procès ». Je lui ai rendu son dossier. Un pénaliste aixois très célèbre qui m’a succédé dans ce dossier a fait la même réflexion et a dit : « Je ne plaide que si je connais la vérité ». Il y a longtemps, un confrère a soutenu dans sa plaidoirie le contraire de la vérité qu'il connaissait. Indigné, lui ai téléphoné pour lui en faire le reproche, il m'a répondu : « Je suis avocat, je ne suis pas moraliste ». Cela m’avait choqué. J’ai donc commencé dans ces conditions et je me suis arrêté dans les mêmes. J’ai suivi mon chemin sans idée préconçue, avec ma conscience professionnelle. Est-ce que vous auriez un livre à nous recommander ? Je suis en train de lire « Le bourreau de l’amour » d’Irvin Yalom. Ce sont des récits de psychothérapies de patients enfermés dans le passé. Lorsque le thérapeute traite un patient, il traite ses propres erreurs dans la conduite des séances. C’est très intéressant. « Le problème Spinosa », du même auteur. Dans ce livre, il rapporte comment la raison parfois n’a pas le dernier mot devant les certitudes qui mènent à toutes les erreurs. 51 | JDB MARSEILLE 3 / 2023 Le juge aux affaires familiales face à la misère du monde, Henri Fournier 1992 HISTOIRE ET MÉMOIRE DU BARREAU / MAÎTRE HENRY FOURNIER

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