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MAÎTRE HENRY FOURNIER A FÊTÉ SES 100 ANS ! Alexandra Costecalde-Bossy : Vous avez raccroché la robe il y a seulement trois ans, comment expliquez-vous une telle longévité ? Le métier d’avocat était-il une passion au même titre que toutes les autres ? Henry Fournier : Je n’avais pas vocation pour être avocat. Pour la raison suivante : je pensais que j’avais plus de muscles que de cerveau. J’avais des muscles, car j’ai été bûcheron pendant 17 mois de camp disciplinaire pour avoir manifesté une évidente allergie à toutes les hiérarchies. Pour moi, tous les hommes sont égaux (plus ou moins). Dans les formations militaires, il m’a été imposé de saluer les supérieurs. J’en ai été incapable car je n’ai jamais pu reconnaître que certains êtres étaient supérieurs aux autres. Il m’a été conseillé d’observer les signes sur les manches des uniformes. Je n’ai jamais réussi à comprendre ces signes cabalistiques. Il m’a été fait observer : « On ne sait pas si vous êtes idiot ou si vous le faites. De toute façon, comme vous refusez le pas cadencé, vous ferez du camp disciplinaire ». J’en ai fait 17 mois. Cela m’a donné une bonne santé et des muscles. Il y en a beaucoup qui s’étaient très bien comportés et qui ont été enlevés pour l’Allemagne. Les mauvais esprits comme moi sont restés sur le carreau et c’était le bon carreau ! Puis un jour mon père m’a dit : « Ton grand père et moi-même étions et sommes avocats, fais un essai ! ». Et mon essai a duré 73 ans. Je ne sais pas si c’était un essai réussi ou pas. Lorsqu’on a fêté mon centième anniversaire à la Maison de l’avocat, j’ai fait remarquer que les meilleurs partent les premiers et que je suis toujours là. Je me suis engagé à ne pas récidiver et j’ai proposé deux moyens pour me justifier. Un moyen qui repose sur un faux motif qui me valorise : « Des êtres humains ont eu froid cet hiver, certains sont peut-être morts de froid par manque de chauffage et je ne pouvais décemment en bénéficier d’un maximum au cours de mon incinération ».Le vrai motif est tout simple : « D’un naturel distrait j’ai raté la porte de sortie ». Dans une précédente interview, vous regrettiez la disparition des relations humaines, pensez-vous que c’est une tendance générale ? Nos rapports avec les juges étaient presque cordiaux. Ils n’avaient pas le sentiment de supériorité qu’ont certains parfois. Il y a environ deux ans, j’ai rédigé un PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRA COSTECALDE-BOSSY Figure incontournable du barreau de Marseille, poète, dessinateur, photographe, Maître Henry Fournier est un véritable artiste à part entière. Il dit avoir embrassé la profession par hasard, un hasard qui a duré 73 ans. Certains diront comme Montaigne que « rien de noble ne se fait sans hasard », d’autres diront tout simplement que le hasard fait bien les choses. En tout cas, je tiens à le remercier chaleureusement pour ce beau moment d’échange au cours duquel j’ai eu la chance de pouvoir écouter son récit d’un « passé révolu ». HISTOIRE ET MÉMOIRE DU BARREAU / MAÎTRE HENRY FOURNIER 48 | JDB MARSEILLE 3 / 2023

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