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les lieux de cette manière, faute de moyens. Est-ce que vous avez observé des évolutions dans les relations entre avocats et magistrats ? La relation avocats/magistrats est fondamentale pour que la justice soit rendue de manière éclairée. Il faut se connaitre, se respecter et pouvoir se parler, même de manière franche et directe. J e me souviens d’une ancienne présidente du tribunal d’instance de M arseille, qui avait rendu plusieurs décisions défavorables pour mes clients, décisions que je ne comprenais pas. J ’étais révoltée au point d’aller voir la présidente dans son bureau pour une explication et pour exposer la situation de détresse dans laquelle mes clients se trouvaient. N ous avons longuement discuté, et à la fin de la rencontre nous étions devenues très proche et nous avons créé ensemble l’antenne de prévention des expulsions locatives. C’est une situation qui prévalait encore il y a une diz aine d’années. M ais en fin de carrière, j’ai dû faire le constat d’un éloignement progressif et presque irrémédiable du juge vis-à-vis des justiciables, notamment en matière civile. Quelle est la cause de cet éloignement ? U n manque criant de moyens, qui n’est pas nouveau, mais qui va en s’aggravant, et un désintérêt politique vis-à-vis de la justice civile. Le site du M uy est révélateur à ce titre et il est quasi-impossible de rencontrer un juge en dehors des audiences. C’est une ancienne caserne qui, en devenant lieu de justice, s’est transformée en forteresse. Pour une justice efficace, les bureaux des juges doivent être ouverts à tous. Or, aujourd’hui il est très compliqué d’obtenir un entretien avec un magistrat et l’architecture des nouveaux palais de justice (avec des portiques, des badges, des portes closes et des accès limités) éloigne encore davantage les magistrats des justiciables et des avocats. Ce n’est pas un fonctionnement normal et sain de la justice. C’est une question essentielle à l’heure où on parle d’une nouvelle cité judiciaire à M arseille. La relation avocats/magistrats doit être au cœ ur de cette cité. Sur le plan politique votre position peut paraitre paradoxale alors qu’on dénonce depuis vingt ans l’inflation législative. L’inflation n’est pas synonyme d’efficacité, au contraire. Souvent, les textes se contredisent. J e constate surtout que lorsque le législateur s’empare des questions de justice, l’immense majorité des initiatives porte sur la justice pénale, dans une approche essentiellement répressive. Cela n’apporte la plupart du temps rien de concret. En cédant à la pression de l’opinion publique, en considérant que chaque fait divers doit donner lieu à une nouvelle loi, les politiques contribuent à éloigner encore davantage la justice des citoyens, notamment la justice du quotidien. Et la numérisation a considérablement déshumanisé la justice et bloqué l’accès au droit de nombreuses personnes qui ne maitrisent pas les outils technologiques. Il y a une perte de confiance des justiciables envers une justice qu’ils connaissent mal et ne comprennent pas. D e ce point de vue, la justice civile est systématiquement oubliée et maltraitée et vit depuis plusieurs années en souffrance. Et une justice en souffrance ne peut pas rendre des décisions éclairées. Lorsque vous avez prêté serment, les femmes étaient minoritaires dans la profession. La situation a considérablement changé depuis. Comment observez-vous cette évolution ? En 1983, nous étions peu, mais la profession était déjà assez féminisée si on la compare à d’autres. Aujourd’hui, les femmes sont en passe de devenir majoritaires mais ce sont à elles que sont confiés les dossiers les moins prestigieux ou pour qui les conditions de collaboration sont les plus difficiles, notamment en cas de maternité. La situation est loin d’être idyllique mais je ne suis pas désespérée. Elle évolue et la profession d’avocat devrait continuer à se féminiser comme le monde politique et syndical. Que retiendrez-vous de ces quatre décennies en tant qu’avocat ? D es émotions et de la chance d’avoir évolué dans un environnement aussi riche sur le plan humain. Le barreau de M arseille est exceptionnel à plus d’un titre. J ’y ai trouvé une seconde famille et le départ en retraite est difficile de ce point de vue. M es associées et les collaborateurs du cabinet me manquent au quotidien, mais aussi l’ensemble des confrères. C’est un barreau extrêmement bienveillant et solidaire où les confrères se parlent et échangent. C’est un des seuls barreaux où on n’hésite pas à s’appeler quand on ne sait pas faire dans une matière ou sur un dossier. Ce qui est l’exception ailleurs est la règle ici. Le barreau de M arseille est aussi très impliqué dans la défense des justiciables. Sous le bâ tonnat Paolacci, le barreau était très présent dans les manifestations pour l’aide juridictionnelle, y compris les gros cabinets qui ne travaillent pas à l’AJ . C’était également le cas plus tard lors des mobilisations contre les différentes réformes de la justice et des retraites. La solidarité est l’AD N de notre barreau. [ La solidarité est l’AD N de notre barreau. ] HISTOIRE ET MÉMOIRE DU BARREAU 5 2 | JDB MARSEILLE 2 / 2023

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