Journal du Barreau de Marseille
numéro 2 - 2017
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L
orsqu’on pénètre dans la
Grande Chambre, ce qui
frappe c’est évidemment la
grande peinture signée
Baudry consacrée à la Glorification
de la Loi. Le titre de l’œuvre en dit
long. Un vrai programme à l’usage
des juges qui vont ici siéger. Il faut
lever la tête car la peinture est en
plafond. Elle est d’une beauté assez
exceptionnelle qui tranche par ses
tons, ses voiles féminins, et ce qui
s’en dégage, avec l’amphigourie du
lieu surchargé d’ors et le côté sur-
chargé des décors. Elle a comme un
air décalé. Tant mieux.
Au diable donc les grincheux qui se
permettront de la qualifier d’acadé-
mique, ou pire de « pompier ». A cet
égard il faudra bien un jour définiti-
vement tailler des croupières à ceux
pour qui l’académisme serait forcé-
ment ringard et de mauvais goût. Ca
arrive mais pas toujours. Prenons
Jean Léon Gérôme, affublé de cette étiquette, c’est quand
même un géant dans son genre. C’est lui d’ailleurs qui érigea un
monument à la mémoire de Paul Baudry à la Roche-sur-Yon.
Paul Baudry (1828-1886) n’est pas un inconnu. C’est un surdoué.
Grand Prix de Rome 1850 (avec Bouguereau, pas une petite
pointure non plus !) on lui doit la déco du foyer de l’Opéra Gar-
nier et celle de l’Hôtel Galliera ( qui est aujourd’hui musée et
temple de la mode avec des expos de haute couture). Il faillit
même, si la mort n’était pas passée par là, décorer le Panthéon.
La Glorification de la loi sous les voutes de la Cour de Cassation
c’est d’abord une impression générale de légèreté, largement
due aux choix des volletés et des couleurs magnifiques du pein-
tre. C’est aussi l’harmonie, la délicatesse des visages qui sont
d’une beauté à couper le souffle. Cette Loi là en impose non par
la menace (ce sont les allégories au-dessus d’elle qui brandis-
sent balance et glaive) mais par son
évidence, son « être – là ». Les com-
mentateurs indiquent que la juris-
prudence lève un regard soumis
vers la Loi. Bravo au peintre qui a su
transmettre le message directif en
douceur et grâce. Dire le droit ainsi,
sous de tels auspices on ne peut
qu’y souscrire.
Juchée sur un socle où est inscrit LEX
IMPERAT, la Loi est comme en sus-
pension. Minerve veille dans ce
décor néo - romain. Un magistrat
s’appuie sur la pierre et a ôté sa
toque. J’ai lu ici ou là que ce serait
par révérence. Comme je n’aime
guère cette idée je préfère croire
que c’est par ce que tout simplement
il fait chaud. Cette thèse est d’ailleurs
corroborée par le personnage d’un
enfant, bien en chair, qui prend le so-
leil et qui est au comble de ses aises.
Le juge a bien du courage de porter
sa robe sous une telle chaleur.
Songerait-on en 2017 commander une telle toile sur un thème
identique ? Certainement pas. Il y a longtemps que la loi n’est
plus encensée. Conspuée, critiquée, martyrisée, elle ne fait plus
recette. Ce serait plutôt la Constitution, à minima, qui serait à
l’honneur. La peinture de Baudry n’en est ainsi que plus symbo-
lique. Elle affirme le temps révolu d’une croyance dans un
monde théorisé, abstrait auquel des personnages donnaient vie.
Et on y croyait. Si l’on demandait aujourd’hui à un artiste de figu-
rer la loi ce serait peut-être comme dans un tableau de Fontana :
une page d’écriture traversée d’une lacération, symbole d’une
écriture fragile et sujette à disparaître.
La prochaine fois je vous amène au Conseil d’Etat…
Sources et pistes : visite à la Cour de cassation ; site de la Cour de cassation.
LA GLORIFICATION DE LA LOI
À LA COUR DE CASSATION
Qu’on ne s’attende pas ici à une savante contribution sur le rôle du juge
judiciaire et sur son rapport à la loi sous couvert d’interprétation. On sera
volontiers plus léger. Quittons le droit pur et ses arcanes pour une petite
promenade picturale qui en dit long quand même sur l’intention du
peintre et sur la manière dont l’époque voyait la Justice et ses
représentations. Entrons donc dans la Grande Chambre de la Cour de
Cassation au premier étage de la Rue de l’Horloge…
CHRISTIAN BAILLON-PASSE
CULTURE