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HISTOIRE

Journal du Barreau de Marseille

numéro 3 - 2016

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Comment filmer ?

Le procès a été totalement enregistré. Le filmage a été

confié à Leo Hurwitz qui avait déjà derrière lui une car-

rière de réalisateur. On disait à l’époque « cinéaste » qui

est un bien plus joli mot. Annette Wievorka et Sylvie Lin-

deperg évoquent les enjeux de cet enregistrement dans

leur passionnant article « Hurwitz à Jérusalem : du procès

comme série télévisée

5

» . On y renvoie nous contentant

d’en citer quelques-uns : pourquoi l’avocat d’Eichmann,

Me Servitius était-il tant opposé au filmage ? La scène ju-

diciaire peut-elle être une scène télévisée ? Comment pla-

cer les caméras ? Faut-il des plans fixes ou mobiles ?

Quid des champs et contrechamps ? La vérité du procès

s’abime-t-elle à l’épreuve des caméras et de leur jeu qui

ne peut pas être neutre. Autre question: les juges doivent-

ils contrôler la manière de filmer le procès ? Ou ici

comme ailleurs, c’est d’abord la liberté qui l’emporte ? Au

fait le cinéaste du procès est-il un créateur artistique ? La

question est majeure. Elle ne concerne pas seulement le

filmage. Il y a quelques années une exposition parisienne

avait fait couler pas mal d’encre : en cause les photogra-

phies ayant capté la libération des camps. Et leur esthé-

tisme selon certains déplacé. Vaste débat. Les auteures

soulignent ici combien Hurwitz était mécontent de ne

pas voir son nom cité au générique de ses extraits diffusés

à la télé. Et que dire au sujet du montage, étape essen-

tielle avant le visionnage des images ? Je les cite encore:

« le filmage du procès Eichmann par sa nature de show

télévisé fut donc soumis à des effets de stylisation et de

dramatisation qui s’expriment également dans la forte ac-

tivité du montage. Ce dernier, par l’alternance des camé-

ras, établit de nouveaux rapports entre les protagonistes

de la scène judiciaire ».

Toutes ces questions que posa et pose le procès Eichmann

n’ont pas pris une ride. Elles sont toujours actuelles. Nom-

bre de nos confrères, sinon tous, qu’ils aient ou non été

confrontés à ce type de situation avec et à côté de leurs

clients, ont leur opinion sur le sujet. Ce petit article est

une invitation à y réfléchir encore.

1. Le moment Eichmann, sous la direction de Sylvie Lindeperg et d’An-

nette Wievorka Albin Michel, Bibliothèque Histoire, 2016.

2. ibid, p. 41.

3. Réalisé par Lars Kraume , sorti en avril 2016. Avec Burghart Klaubner.

Ce n’est pas le premier film consacré à Bauer.

4. Parmi eux : Jean Marc Théolleyre du Monde, Elie Wiesel, Hannah

Arendt pour le New Yorker, Joseph Kessel.

5. op cit, p. 85-88.

© crédit photo AFP