HISTOIRE
Journal du Barreau de Marseille
numéro 3 - 2016
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L
e procès Eichmann a été un tournant. Même s’il y
avait déjà eu le procès de Nuremberg, il y a eu un
avant et un après le procès d’Adolf Eichmann
comme l’écrivent Sylvie Lindeperg et Annette Wievorka
1
.
Ce procès fut celui qui « intronisa les témoins comme
porteurs d’histoire »
2
. Il fut aussi le premier procès télé-
visé et médiatisé de cette manière. On a grâce aux
images disponibles la mémoire entière de ce procès. Et
d’Eichmann, l’organisateur de la « Solution finale »,
dans sa cage de verre, un type maigrelet à lunettes qui
range comme un bureau-
crate (simple effet de scène
et posture de la part de
celui qui précisément n’a
voulu apparaitre que
comme un exécutant ?) ses
petites fiches devant lui et
refuse de jurer sur la Bible
car « je ne jure que sur Dieu » : autre effet de scène
parce qu’il y a les caméras ? Qui saura ?
Comment en est-on arrivé au procès ?
Le film « Fritz Bauer, un héros allemand »
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, passé ina-
perçu, retrace le combat du procureur allemand Fritz
Bauer pour arriver à faire extraire Eichmann d’Argentine
(où il s’est caché sous le nom de Ricardo Klement) avec
l’aide du Mossad. L’opération réussit. Devait-on et pou-
vait-on juger Eichmann en Allemagne ? L’Allemagne a-t-
elle d’ailleurs participé à l’extradition d’Eichmann ? La
thèse du film est que le régime n’était pas prêt à cela: trop
d’anciens nazis dans les sphères du pouvoir allemand
pour admettre une procédure d’extradition, a fortiori un
procès qui rejaillirait sur trop de monde en place. Bauer
lui-même, esseulé, a eu le plus grand mal à mener sa
traque. C’est donc à Jérusalem, dans la Maison du Peuple,
que le procès va se tenir. Deuxième question: faut-il alors
filmer et médiatiser le procès ?
Faut-il filmer le procès ?
La question ne concerne pas que les procès historiques. Ils
sont quand même les plus embléma-
tiques. Ainsi des rares images du
procès Pétain qui témoignent de
tant de choses, qui donnent de
l’épaisseur à ces instants : on voit
Pétain et Laval dans leurs attitudes,
leurs gestes, leurs emportements,
leurs fatigues, leurs regards. Les agi-
tations dans le prétoire, les avocats, le public. Les images
sont fortes: elles donnent de la chair à l’Histoire. L’enjeu
est énorme : filmer un procès, c’est en conserver la mé-
moire, mais filmer n’est-ce pas aussi « mettre en scène »
? Comment rester alors objectif dans la représentation
d’un tel évènement ? Face aux cinq cents journalistes pré-
sents
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dans la Maison du Peuple, filmer le procès c’est par
exemple permettre de confronter les chroniques judi-
ciaires et les commentaires libres à la réalité du procès.
C’est aussi reconnaître le pouvoir de l’image sur les es-
prits. Le film complètera les écrits et les retransmissions
radiophoniques. Quand les générations ne liront plus,
elles regarderont Internet dont les extraits du film circu-
lent sur la toile. Ça valait donc le coup.
COMMENT FILMERUNPROCÈS ?
L’EXEMPLE DUPROCÈS EICHMANN
Adolf Eichmann est dans l’actualité 2016. Au remarquable ouvrage collectif « Le moment
Eichmann » qui revient sur son procès et ses multiples enjeux s’ajoute le film sorti en 2016
« Fritz Bauer, un héros allemand ». Manière de revenir sur une question récurrente en
matière judiciaire : faut- il, et comment, filmer le procès ?
Christian Baillon-Passe
Les images sont fortes :
elles donnent de la chair
à l’Histoire.