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Journal du Barreau de Marseille

numéro 2 - 2016

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On entend souvent parler

de l’uberisation du droit,

mais de quoi s’agit-il exac-

tement ?

L’uberisation de l’économie

désigne l’avènement, sur un

marché donné, d’acteurs In-

ternet proposant des services

à la demande et soumis à des

règles plus souples. L’uberisa-

tion du droit est donc le fait

que de nouveaux acteurs pré-

sents sur le net proposent un

accès simplifié et à bas prix à

des prestations juridiques, sans

se préoccuper du respect de

règles déontologiques auxquelles ils ne sont pas soumis.

Ces prestations sont le plus souvent présentées sous

forme de simples informations, parfois très détaillées et

complètes, souvent personnalisées par l’utilisation de lo-

giciels assurant le décryptage des questions posées par

l’internaute ou une aide à la rédaction de certains docu-

ments (requêtes, statuts, mise en demeure, etc.). Et au

bout de la chaine on trouve des avocats à qui ces sociétés

commerciales (qui ne sont pas toutes des start-ups) adres-

sent leurs clients, en facturant cet apport d’affaire sous

couvert de frais techniques, quand il faut passer de l’infor-

mation au conseil. Le risque est alors que ces avocats de-

viennent des sous-traitants tarifés et économiquement

dépendants des legals-ups avec lesquelles ils ont accepté

de travailler.

Àmon sens l’uberisation du droit est une tendance lourde

qui menace à court terme la situation relativement proté-

gée des avocats pour deux raisons majeures:

- Le conseil juridique est réservé aux avocats, ce qui l’inter-

dit (en théorie) aux sociétés commerciales, mais jusqu’à

quand ? On sait depuis le rapport de Mario Monti de fé-

vrier 2004 que la Commission européenne est profondé-

ment hostile aux réglementations professionnelles

interdisant le libre accès à certaines activités, sauf si ces rè-

gles sont édictées dans l’intérêt du consommateur. Or de

leur côté les avocats sont incapables, essentiellement pour

des raisons économiques, de répondre aux besoins de

droit des particuliers, soit en raison du faible intérêt des li-

tiges, soit par la difficulté de contacter un avocat pouvant

répondre rapidement à une question parfois très simple.

Comment dès lors justifier d’interdire sine die à des start-

up du droit (legals-ups) d’intervenir sur un marché léga-

lement réservé aux avocats,mais sur lequel ils ne sont pas

en capacité d’intervenir ? Un sondage américain[1] es-

time à 80% les besoins de droit des consommateurs non

satisfaits par les avocats: je ne vois pas pourquoi cela se-

rait foncièrement différent en France.

- Le fait que les logiciels utilisés par les legals-ups sont en-

core incapables d’une analyse très poussée, ce qui prive

les prestations délivrées en ligne de la valeur ajoutée ap-

portée par un avocat qui ne se contentera pas de répon-

dre aux questions, mais qui interrogera son client pour

élargir le spectre des questions et des réponses. Les logi-

ciels experts peuvent aider à la rédaction de statuts, mais

ils sont encore incapables de guider l’internaute sur le

QUESTIONSÀ

chRISTOphE ThEVENET

Avocat au barreau Paris – Cabinet TDMG

Ancien membre du Conseil de l’Ordre

Ancien membre du Conseil National des Barreaux

Président d’honneur de l’ANAAFA

RÉVOLUTIONS NUMÉRIQUES

ET INNOVATIONS DES AVOCATS

DOSSI ER

Christophe Thevenet

Propos recueillis

par Julia Braunstein