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Emile Pollak, je me retrouve à découvrir Paul Lombard, qui est en train d’acquérir sa notoriété. Il défend un homme qui a tué sa mère et fait une plaidoirie extraordinaire. Cet avocat m’éblouit, mais pour autant lorsque j’étais étudiant je voulais être commissaire de police. Puis je bénéficie d’un certain nombre de facteurs. Tout d’abord une sombre histoire de réveil qui fait que quand je me réveille le matin, les épreuves de commissaire de police à l’Évêché ont commencé deux heures avant. Puis l’on parle de moi, en termes flatteurs à Maître Marchetti. Alors on me reçoit et je fais visiblement l’affaire. Mais moi je négocie, parce que comme je ne reçois aucune aide de personne, il m’est impensable de ne pas être rémunéré. A l’époque, ce n’est pas l’usage : quand tu es avocat stagiaire dans un cabinet c’est déjà très bien. Alors, on ne va pas (en plus) te donner une rémunération. Pour l’anecdote, je me suis donc retrouvé être l’avocat stagiaire le mieux payé de Marseille puisque j’avais pu négocier les deux tiers du SMIC. Maître Marchetti me donnait 1500 francs et tout le monde considérait que c’était une faveur injustifiée. Puis j’ai dû partir sous les drapeaux faire mon service militaire, pendant que les autres prêtaient serment. Nous sommes en octobre 1973. Quels ont été tes premiers pas dans notre profession ? Comme je venais d’avoir un enfant, l’armée a décidé d’anticiper la fin de mon service, et je prête finalement serment le 14 octobre 1974. Je m’en souviendrai éternellement : mon patron m’avait donné un dossier au tribunal d'instance de Forcalquier, en me disant « Tu prêtes serment à 14h00, mais à 15h30 tu dois être à Forcalquier et ce dossier, si tu le perds, c’est que tu ne seras jamais un bon avocat ». Un dossier « bizutage » comme on dit : Le magistrat me demande depuis combien de temps je suis avocat, et je me souviens lui répondre « depuis 1h30 ». Je pense qu’avec du recul ce magistrat m’a fait une petite faveur. A cette époque, nous nous formions exclusivement sur le terrain : La formation pour un jeune avocat, c’était la « salle des pas perdus » et la buvette. J’avais une liste de référents à qui je pouvais soumettre mes problèmes. C’est comme cela qu’on obtenait de l’expérience. J’arrive donc au barreau en cours d’année 1974 et c’est là que j’entreprends ce que j’aime appeler le « cycle du bonheur ». Je veux vous parler de la visite aux membres du Conseil de l’Ordre. Evidemment le bâtonnier m’a reçu avec courtoisie, puisqu’il était Corse ; il parait que ça compte. Pour les membres du Consei l de l'Ordre c’était différent : j’ai été reçu par certains avec beaucoup de bienveillance et de gentillesse. Mais si je suis honnête, la plupart râlait de voir autant de nouveaux avocats s’inscrire. Il faut dire que l’on approchait dangereusement la barre fatidique des 300 inscrits au tableau. José, peux-tu nous raconter quelques anecdotes de barre ? Pour acquérir de l’expérience, il y avait l’audience correctionnelle. Les avocats les plus anciens passaient avant. C’était la règle intangible. On arrivait à 14h00 et on commençait à passer à 18h00. On écoutait et on apprenait surtout. Pour certains c’était remarquable. Je me rappelle avoir entendu Maître Malinconi qui plaidait l’indemnisation d’un préjudice d’agrément ; ce n’était pas dans l’air du temps à l’époque. Construire la philosophie de l’agrément et soumettre tout cela à un tribunal pour la première fois, c’était vraiment du travail d’avocat. Je me souviens d’une situation pas banale, un confrère (nous préférons préserver son identité) me demande de faire renvoyer une affaire en 5ème chambre correctionnelle. Je fais naturellement sortir le dossier. Quand le président voit le dossier, il me dit : « ça a déjà été renvoyé trois fois, c’est retenu, je vous commets d’office, quand vous êtes prêt faites-nous le savoir Me Allegrini ». Au final j’obtiens un résultat que mon confrère n’aurait pas obtenu (c’était dû plus à l’indulgence du tribunal qu’à ma performance). Et quand je vais partir, j’entends un vieil avocat aux cheveux jaunâtres qui me dit « c’est bien petit », c’était Émile Pollak. J’étais en état de lévitation. C’était ça les honoraires non imposables. Avec Émile Pollak j’en ai des souvenirs. Quelques temps après je suis commis d’office en Cour d’assises dans un dossier avec lui. Pendant le procès il me demande si je cours vite, il voulait que j’aille jouer pour lui. Il me donne une enveloppe, on ne pouvait pas voir ce qu’il y avait dedans. J’enlève ma robe, je vais au PMU, je passe un jeu. Je le vois de loin, il sourit. Et les parents des accusés se détendent, le vieux a envoyé le jeune chercher un truc, c’est bon. Là c’était un petit épisode sur l’interprétation des mimiques des avocats par les clients. Dans cette même affaire, il me demande si je compte rester pour les réquisiHISTOIRE ET MÉMOIRE DU BARREAU 44 | JDB MARSEILLE 2 / 2022

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