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33 # N1 201 9 JOURNAL DU BARREAU DE MARSE I L LE DOSSIER J’arrive. Il était entouré de tous ses cadres. Il dit : « Voilà, nous avons une société à Lyon qui fait le recouvrement. Ils envoient une lettre recommandée, si le débiteur paie, ils prennent 10 %, sinon ils ne font plus rien. Expri- mez-vous sur la lettre que je vous présente ». Le président me présente la lettre et je ré- ponds « Cette lettre ne va pas du tout ». Tous les cadres m’avaient prévenu qu’il était très susceptible, et tous baissent la tête. Il crie « Secrétaire ». La secrétaire arrive. Il me dit « Vous dictez cette lettre.» Je dicte la lettre. Et il conclut « Bon, c’est celle-là qu’on envoie ». Il me téléphone le soir et il me dit « Maître, vous m’avez humilié devant tous mes cadres. Vous aurez désormais tous mes dossiers ». C’est comme ça que j’ai eu tous les dossiers du Crédit Mutuel. François Morabito : Comment vous est venue l'idée de porter la robe ? J’avais un cerveau étroit et j’avais des mus- cles. Je ne sais pas si cela a changé. Lorsque mon père m’a dit « Tu sais que ton grand-père était déjà avocat, tu devrais entreprendre cette profession ». Je lui ai dit « Non, moi je veux une profession de plein air, de grand air même ». Il m’a dit « Essaie ». J’ai dit « Bon ça va, je vais essayer ». « Et je continue l’essai, j’en suis maintenant à ma 71 e année d’essai ». François Morabito : Lorsque vous avez prêté serment en 1947, à quoi ressemblait le bar- reau de Marseille ? Henry Fournier : Le barreau de Marseille ressemblait à une grande famille, où tout le monde se connaissait, se tutoyait, s’interpel- lait par son prénom. Dans ce passé révolu : des juges virtuels, animés par une intelligence artificielle, cela ne pouvait nous venir à l'esprit. Denis Rebufat : Il y avait peu de technicité. Henry Fournier était un fin juriste, mais c’était l’un des rares. Pierre Temin, qui avait fait de la résistance, il a passé en 6 mois ou 1 an les trois années de droit et il est arrivé au barreau. « Il était intelligent, malin, mais juriste pas du tout ». Dans la salle des pas perdus, trente ou quarante avocats dont des bâtonniers discutaient entre-deux « j’ai un dossier en responsabilité », un autre rajoutait « Mais là c’est l’article tant du Code civil etc. ». Et ils venaient, partaient, concluaient, sans ouvrir le code. La plupart n’était pas de fins juristes, à côté de maintenant. Le droit était vraiment assez marginal. Henry Fournier : Parfois, on cherchait avec les magistrats la solution. Denis Rebufat : Il y avait des traditions qui perduraient. Par exemple, quand un avocat plaidait pour la 1 ère fois, il allait se présenter et les magistrats le faisaient gagner presque systématiquement. Henry Fournier : Au début de la 2e moitié du siècle dernier, les avocats qui plaidaient à Aix partaient la veille. C’est ce que m’avait dit Masso : « Avant, on partait la veille pour Aix, maintenant on prend l’avion le matin pour Ajaccio et on revient l’après-midi. Les temps ont complètement changé ».. Denis Rebufat : Tu as connu une période où il y avait un confrère qui avait un salon de musique, rue Grignan ou rue Montgrand ? Henry Fournier : Je donnais tous les ven- dredis soir des séances où il y avait musique, poèmes, et un certain nombre de confrères venaient, notamment, Pinturier qui jouait de la guitare. C’était extrêmement sympa- thique. Maintenant on se connait moins, ça serait plus difficile. François Morabito : Et les recherches juri- diques en 1957 ? Henry Fournier : On allait à la bibliothèque pour compulser les livres. Évidemment, il n’y avait pas d’ordinateurs. On n’imaginait même pas qu’un jour un ordinateur pourrait répondre à la place de personnes physiques. Denis Rebufat : Il y avait beaucoup de gens qui allaient à la bibliothèque régulièrement, où il y avait les JurisClasseurs, et les Codes. Beaucoup d’avocats n’avaient que les Codes chez eux, ils n’avaient rien d’autre. Henry Fournier : Nous avions les revues : la Gazette du Palais, etc … la Semaine Juridique. Les plus anciens exemplaires que j’ai trouvés étaient à mon grand-père, ils datent de 1884. François Morabito : Et les juridictions à Marseille, tout était réuni au Palais de justice ? Le palais de justice existe depuis combien d’années ? Henry Fournier : Il y avait les justices de paix. Le 2 e canton était rue Nau. Le 4 e était à la Belle de Mai, rue Guérin. Le 7 e était au Prado. Denis Rebufat : Il y avait les audiences au 17 rue Montgrand avec Monsieur Bourgoin, c’était la 1e section. La 2 e et 8 e où les gref- fiers étaient Gougne et Nalle. ➜ Regards croisés sur la profession d’avocat

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