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52 | JDB MARSEILLE 3 / 2022 LIBRES PROPOS QUAND LA JURISPRUDENCE FISCALE SE FROTTE AU JEU DE POKER Il était une fois le Kid de Cincinnati. On se souvient de ce film épatant avec le duel Edward G. Robinson / Steve Mc Queen. Pour ceux qui ne l’auraient jamais vu on n’en dira donc pas plus sinon pour préciser que presque tout se passe autour d’une table de poker et que Karl Malden joue Le Jongleur. On est en 1966 année de sa sortie en France. L’argent brille mais ici le but est de gagner et de se montrer plus fort que celui qui est au sommet. Personne autour de la table ne pense une seconde au régime fiscal des jeux. Magie du cinéma. Retour sur terre. Du côté du Palais Royal. Comme l’avait souligné le rapporteur public « Le secteur des jeux, et, parmi eux, le poker tout particulièrement, est, de manière quelque peu mystérieuse, la source d’une abondante jurisprudence fiscale ». L’arrêt du 1er avril 2022 intervient dans le cadre d’un litige concernant la marque PokerStar et la procédure de remboursement de la TVAen faveur des assujettis établis dans un autre état-membre. Les fiscalistes mais pas qu’eux apprécieront la complexité des enjeux, la finesse des raisonnements proposés et la solution du juge (CE, 1 avril 2022, N° 450613 – Société Amaya Service Ltd). QUAND LE FANTÔME DE LA MARQUISE DE BRINVILLIERS S’INVITE DANS LA JURISPRUDENCE PHARMACEUTIQUE On a bien aimé l’entrée enmatière des conclusions prononcées par Monsieur Arnaud Skzryerbak sur l’arrêt du Conseil d’État du 6 avril 2022 et l’allusion à ladite marquise et à l’ «Affaire des poisons » alors que le Conseil d’État devait trancher l’épineuse question de la distinction de régime, avec les conséquences contentieuses, entre médicaments et substances vénéneuses. Le mari de La Brinvilliers craignant pour sa vie préféra se retirer sur ses terres en 1670. On le comprend. Elle sera exécutée en Place de Grèves. La question devant le juge administratif était moins horriblement spectaculaire mais oh combien importante par ses enjeux économiques et juridiques autour du fénoprofène qui appartenant à la même famille que l’ibuprofène invitait le juge à se positionner au regard notamment de l’erreur de droit et de l‘erreur manifeste d’appréciation qui aurait été commise par le comité économique des produits de santé. Le Conseil d’État déboute le laboratoire pharmaceutique. Pour en savoir plus voir CE, 6 avril 2022, 357112. QUAND LE CONSEIL D’ÉTAT FRÔLE LES ÉTOILES … Le contentieux administratif ne manque ni de poésie ni d’occasions pour le juge de se transporter loin et même dans l’univers de l’infiniment grand et des trajectoires satellitaires. Ainsi de l’affaire ayant donné lieu à son arrêt du 5 avril 2022. On apprend au passage grâce àMonsieur Clément Malaverti rapporteur public qu’« entre 1957, date du lancement de Sputnik 1, et 2021, environ 12 000 satellites ont été lancés, et on en comptait à la fin de l’année dernière 8 000 encore en orbite autour de la terre, dont 3 000 sont toujours opérationnels ». En jeu le projet Starlink signé Elon Musk visant au déploiement d’une constellation d’environ 42 000 satellites et qui a nécessité en France l’accord de l'Arcep, autorisation querellée par deux associations luttant contre ce type de projets. Les questions posées au juge étaient nombreuses et particulièrement sophistiquées dont celle d’abord de l’intérêt à agir des associations. Le juge confirme sa jurisprudence libérale en matière d’environnement. Parmi les questions, celle visant éventuellement « à imposer à l'Arcep de procéder à une consultation publique à chaque fois qu’elle envisage d’autoriser l’utilisation de fréquences radioélectriques ». Autre question : la décision de l'Arcep aurait-elle dû être précédée d’une évaluation environnementale au titre du II de l’article L. 122-1 du code de l’environnement ? Les associations reprochaient encore à l'Arcep « de ne pas avoir tenu compte de la pollution lumineuse et de la multiplication des débris spatiaux que le projet Starlink est susceptible d’engendrer ». Comme y invitait le Rapu « Ces problèmes sont bien réels, mais sont liés aux satellites déployés par la société, et non à l’utilisation de fréquences radioélectriques, qui constitue le seul objet de la décision attaquée. Leur invocation est donc inopérante ». Imparable. Toutefois le Conseil d’État n’a pas eu à se prononcer sur ce point. Au terme d’un paragraphe très court il décide : « Dès lors, en prenant cette décision sans avoir préalablement procédé à une consultation du public, l'Arcep a méconnu les dispositions du V de l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques » (CE, 5 avril 2022, n°455321). QUELLES NOUVELLES DU DROIT PUBLIC ? ME CHRISTIAN BAILLON-PASSE Le contentieux administratif invite parfois le juge administratif à des allusions bienvenues, à convoquer la littérature et le jeu et les arts, susciter in fine chez le lecteur et l’observateur des jeux de pistes. Le contentieux comme collage artistique ? Pourquoi pas ?

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