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38 | JDB MARSEILLE 3 / 2022 DOSSIER | RENTRÉE SOLENNELLE / 24 JUIN 2022 Il veut tout dévorer. Tant pis, personne ne veut de lui, il fera ça tout seul. Sa soif de revanche, c’est tout ce qu’il a pour lui. Avec une robe sur les épaules, c’est tout ce qui est nécessaire. Ason époque, les commissions d’office n’étaient pas rémunérées, Et on ne pouvait pas comme aujourd’hui Gagner des milliers d’euros par mois en défendant tout le monde sans être choisi par personne. On était loin des vautours de la permanence, Qui fondent sur leur proie, Achaque annonce de confrère indisponible. Acette époque, les commissions d’office étaient à peine défrayées, Et donc, personne n’en voulait. Personne, sauf un fou affamé, Boulimique, Par barreau, Qui devenait le pénaliste local. Comme Jean-Yves Liénard, Comme Hervé Temime, Éric Dupond-Moretti fut ce fou, Qui accepta de défendre, Affaire gratuite après affaire gratuite, Procès obscur après procès obscur, En audience la semaine, Le soir à son cabinet, En prison le week-end. Vie de chien ! Et le voilà à défendre des petits gitans, des voyous à la petite semaine, des accidentés du pénal qui se retrouvent là presque par hasard, des clandestins, des anonymes, des misérables, Des petites affaires toujours, Des petits dossiers de sans-grade qui n’intéressent personne. Encore et encore. La justice. Il se souvient du noir de sa robe, Qui est une couleur qui absorbe toutes les autres, Et embrasse pleinement le sacerdoce. Appliquant la formule balzacienne : La réussite, c’est le deuil éclatant du bonheur. Éric Dupond-Moretti sacrifie son bonheur. Et il réussit. Je passe, maintenant, pardonnez-moi, Toute cette description pénible Qui fait généralement le sel des reportages sur la réussite, Et plus particulièrement, sur celle d’Éric Dupond-Moretti, D’après les canons du journalisme moderne : Les affaires retentissantes, Outreau, Viguier, Castela, Ferrara, les surnoms, le compteur d’acquittements, les vignes, les faucons, la chanteuse canadienne, Merah, le théâtre, les livres, ceux qu’il a écrits, ceux qu’on a écrit sur lui, les films, ceux dans lesquels il a joué, ceux dans lesquels on l’a joué. De tout cela, moquons-nous aujourd’hui, Ne renions pas le noir de nos robes, Qui nous enseigne que les lauriers de ce monde fanent. Regardons plutôt les lauriers qu’il a cueillis dans l’autre monde. Évidemment, ces lauriers, il les a cueillis, ou plutôt, arrachés dans les Cours d’assises. Où il a retrouvé la même ligne blanche, encore elle, toujours, Qui sépare le peuple qui y siège, des gens de robe dont c’est le métier. Mais qui ne sépare pas nécessairement les jurés des accusés. Il suffisait de le leur rappeler. Avec une compréhension animale de ce qu’est un procès d’assises, Transmise par son maître, Alain Furbury, Il assiste au même spectacle, pratiquement à chaque audience. Le vrai procès d’assises s’ouvre avant les sonnettes de la Cour, Par le cliquetis des menottes qu’on détache, Le son de ces menottes, c’est la ligne blanche qui sépare un homme de tous les autres, Le voilà qui entre dans le box. L’accusé est généralement terrifié, transfiguré par la peur, Une peur qui tire les traits et donne un air coupable. Et après le tirage au sort des jurés, S’ouvrent les débats. Dans les Cours d’assises, Les picadors ne prennent pas la forme d’un homme à cheval, Qui traverserait la salle pour enfoncer sa lance dans le cou de l’accusé, Mais peuvent prendre des formes multiples : Celles d’un enquêteur, d’une partie civile, d’un avocat général, ou d’un expert. Et il survient toujours un moment, au cours des débats, Où l’accusé comprend, Que si on l’a sorti de sa geôle, C’est pour le condamner. Et c’est à ce moment précis, Où il saigne le plus, Que l’homme assis au centre de la Cour, Dans son habit d’ombre et d’écarlate, Allume son micro, le fait lever, Et l’assaille de questions afin de le fatiguer De le contraindre à baisser la tête ; Le but étant de planter dans sa nuque, en fin d’audience, Une condamnation prérédigée dans un bureau souvent sombre. Quand elle est animée par des présidents médiocres, Par des présidents bouchers, Voilà à quoi ressemble une cour d’assises, C’est quelque chose d’insupportable pour tous, Mais surtout pour Éric Dupond-Moretti, Qui en a vomi pendant dix ans. Mais c’est à genoux dans les toilettes des Cours d’assises, Alors qu’il vide ses entrailles dans la cuvette, Qu’apparait sa vocation : gracier le taureau. Pour cela, il doit agir dès le premier tercio, Quand on pique le taureau, quand on l’interroge, Il faut empêcher le matador et ses sbires de lui faire baisser la tête, Au cours des débats, Il faut mettre toutes ses forces dans la bataille, Quitte même à être violent. Il faut aider le taureau à relever la tête, Relever dans les procès-verbaux les élé-

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