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35 | JDB MARSEILLE 3 / 2022 les mondanités. Lui, aux costards de qualité, toujours fripés, marginal dans l’esprit du temps, qui méprisait les grands et les haines locales. Comme celle d’un bâtonnier qui recommandait aux avocats de la conférence du stage de 1977 d’être d’une moralité irréprochable, et de ne pas s’afficher comme l’un de vos vieux confrères aux jeux d’argent sur les champs de courses. S’il s’avait ce bâtonnier, ce que je donnerais aujourd’hui, pour passer une après-midi avec lui, sur le champ de courses ou aux assises, à discuter, à l’écouter plaider, ou à quémander des conseils avisés. D’une immense modestie, il aurait sans doute répondu ce qu’il avait rétorqué à un jeune confrère qu’il l’avait sollicité : « je n’ai pas de conseil mais vous pouvez jouer Fleur Bleue dans la troisième c’est un coup sûr ! ». Une course, c’est un dossier, où les arguments sont remplacés par des cheveux et où le verdict, c’est l’arrivée. Turfiste de l’hippodrome Borely et de Cagnes-sur-Mer, à qui un voleur avait rendu le butin de sa poche en demandant pardon après l’avoir reconnu ; pour qui les magistrats étaient soucieux de lever leur audience avant que ferme le bureau de PMU, afin qu’il puisse sacrifier en toute quiétude au sacro-saint rite du pari quotidien. En parlant de quotidien, dans une interview dans Le Provençal en 1973, il avait choisi comme devise cette phrase inscrite sur l’une de ses assiettes : si haut que l’on soit assis, on n’est quand même assis que sur son cul. Mieux que connu, ou célèbre, il était populaire. Évidemment, la mort embellie et entraine des hommages parfois obligés dans la foulée. Je remercie sa fille et son petit-fils, de m’avoir confié et autorisé à révéler certaines lettres privées plus de 44 ans après. En revanche, l’identité des juges à l’origine de ces courriers privés, je la garderai. La foi du Palais et le secret sont deux choses que ni la mort ni Bercy ne peuvent s’emparer. La lettre d’un juge, notamment substitut général près la Cour d’appel de Douai, qui ne savait comment dire sa peine à l’annonce de sa disparition. Celle d’un premier juge d’instruction à Nîmes, qui s’inclinait devant lamémoire de l’hommemerveilleux et l’avocat si attachant. Celle d’un procureur général, qui fut un temps à la tête du parquet de notre cité, et qui appréciait, je cite, le talent indéniable, sa droiture, et sa générosité, parlant de perte irréparable pour le barreau et la justice. Ou bien encore celle d’un substitut général, près la Cour d’appel d’Amiens, lequel confessa à la mort d’Émile Pollak qu’il avait toujours admiré et secrètement jalousé le talent de celui qui savait faire entrer le cœur dans les prétoires. Le cœur dans les prétoires, il l’a fait rentrer jusqu’au bout, même après quand il fallait aller quémander l’utime grâce au roi de l’Élysée. Lui qui fut l’avocat du dernier exécuté, HaminaDjandoubi, dernier homme, en France, dont la justice fut rendue par une tête tranchée, dans cette citée. Et dont le récit de la Juge Monique Mabelly rappelle à quel point il n’y a pas si longtemps que cela, dans cette ville, à 4h00 du matin, on hurlait encore tout bas, qu’au matin, un corps basculait, qu’un homme qui parlait moins d'une minute plus tôt n'était plus qu'un pyjama bleu dans un panier. De cette dernière tête tranchée, il eut cette ultime déclaration : je pense que c’est la dernière exécution capitale. Il n’est pas pensable que la peine de mort ne soit pas supprimée. Chef de file des abolitionnistes, croyant et apôtre du cinquième commandement la mort fut rancunière cependant, et l’emporta avant de savoir qu’il eut raison, que c’était, bel et bien, la dernière exécution. Au procès deMichel Bodin, lamaladie l’avait empêché. C’est Nicole, sa fille, qui aux côtés de Robert Badinter, alla plaider. Il ne voulait pas que sa place demeurât une seule fois vacante pour lutter contre le couperet. Pour Émile Pollak, la mort était insoutenable, lui qui a fait partie de ce qu’il appelle ce triste privilège d’en être le spectateur, l’oubliable mesure de la sensibilité, devant une scène d’abattoir où un homme tient la place d’une bête livrée pour prendre la vie. Émile Pollak fait partie de ses avocats de la mort, ceux qu’ils l’ont combattu, requise dès ses premières assises, lui qui aimait tant la liberté et la vie, tant les deux rimaient pour lui. À tel point qu’un beau matin, il offrit un foulard rempli de coccinelles à sa fille pour qu’elle gagne, et qu’elle ne les enferme plus dans une boîte d’allumettes, jeu d’enfants qu’il avait prohibé en précisant : ce sont des bêtes à bon Dieu, tu ne les enfermeras plus à présent, même les bêtes n’ont pas le droit d’être enfermés injustement. Comme je comprends désormais notre maitre à tous, Henri Leclerc, qui termine ses mémoires, en estimant qu’il croit au matin, tant les robes qui nous précèdent ont vu le pire de la nuit. Mesdames et Messieurs, croyez encore aux coccinelles et aux matins. Mesdames et Messieurs, croyez encore aux avocats. D’hier, d’aujourd’hui, et de demain. DOSSIER | RENTRÉE SOLENNELLE / 24 JUIN 2022

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