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32 | JDB MARSEILLE 3 / 2022 Depuis le temps que je patiente dans cette robe noire. J’entends qu’on requiert et qu’on plaide au bout du couloir. Un policier a touché les écrous, et j’ai plongé vers le grand jour. J’ai vu les prévenus, les greffiers, et les juges autour. Est-ce que cette justice est sérieuse ? Monsieur le bâtonnier, mesdames et messieurs les hautes autorités, politiques, administratives et judiciaires, mes chères consœurs, mes chers confrères, chers magistrats, chers greffiers, mesdames et messieurs, À l’instar de François Sureau, avocat actuel désormais immortel, ayant succédé au 24ème fauteuil, sous laCoupole occupé par Max Gallo, dont on ne peut que frémir devant ses mots, ceux par lesquels il rappelait qu’il y a du sacré dans chaque homme, je voudrais avant de m’asseoir parmi vous, suprême récompense des talents incertains d’eux-mêmes, rester quelques instants debout parmi les vivants et les ombres. Aux vivants, j’éviterais les confrères : si Émile Pollak disait qu’il n’y a pas plus susceptibles que les magistrats, s’agissant de l’égo, je crois qu’il n’y a pas pire que les avocats. Alors réflexe camusien, entre la justice et ma mère, c’est cette dernière que je choisis de remercier aujourd’hui. Quant aux ombres éternelles, je voudrais faire apparaître, à côté de celle du Juge Pierre Michel, et comme un terrible échos, celle de Raymonde Talbot, consœur assassinée, il y a désormais dix ans, à quelques rues d’ici, dans son propre cabinet. Évidemment, je pense à Charlotte Guichard, magistrate de 29 ans qui - pour se libérer il y amoins d’une année - s’est donné la mort, et dont la situation de détresse est tout sauf un cas isolé. Parmi ces ombres, également celle de Valentin Ribet, jeune confrère de 26 ans, tombé au Bataclan, dont le procès est en train de s’achever. Lui qui avait la robe au vestiaire, laquelle finit parmi les scellés. Lui qui - paradoxe de cette fonction sacrificielle qu’est la nôtre - se serait sans doute levé au banc sacré pour être à ses bourreaux cet ultime bouclier, magnifique définition de notre engagement que m’a enseigné, mon Confrère, Christophe Bass, à l’école des avocats, dès mon arrivée. Ce banc sacré de la défense, au crépuscule de ma deuxième année de barre, j’ai compris qu’il fallait l’entendre, pour réaliser qu’il demeure cette chaine d’hommes et de femmes qui y prennent une place, pour finir par s’effacer lentement - ou parfois brusquement - tandis que d’autres se dressent à leur tour, inlassablement. Et même si la Robe est sans doute plus grande que les ombrent qui la peuplent, rappelant la pensée deRenéChar et ses feuillets d'Hypnos : notre héritage n’est précédé d’aucun testament, comment ne pas ressentir à son tour ce poids si lourd et merveilleux de ceux qui l’ont sublimé par le passé. Évidemment, parmi les plus illustres ombres qui précèdent la Robe figurent notamment celles de Vincent de Moro-Giafferi, Maurice Garcon, Alain Furburry, ou bien encore les immenses bâtonniersHenri Robert, ouRaymond Filippi. Plus récemment, parmi ces ombres qui nous précèdent à chaque fois que l’on se lève, celle de Jean-Denis Bredin, lequel rappelait dans une tribune en 1976, qu’être avocat, c’est interdire à la haine d’être présente à l’audience ; ou bien encore Gisèle KEVIN LEFEBVRE- GOIRAND 1ER LAURÉAT DU CONCOURS DE LA CONFÉRENCE DU JEUNE BARREAU 2021 ÉLOGE FUNÈBRE DE MAÎTRE ÉMILE POLLAK DOSSIER | RENTRÉE SOLENNELLE / 24 JUIN 2022

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